Définir la ''langue bretonne'' : discours concurrentiels d'origination et d'identification dans les paratextes des dictionnaires bretons
Auteur / Autrice : | Malo Morvan |
Direction : | Cécile Canut, Yves Déloye |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sciences du langage |
Date : | Soutenance le 28/03/2017 |
Etablissement(s) : | Sorbonne Paris Cité |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences humaines et sociales : cultures, individus, sociétés (Paris ; 1994-2019) |
Partenaire(s) de recherche : | établissement de préparation : Université Paris Descartes (1970-2019) |
Laboratoire : CERLIS - Centre de recherche sur les liens sociaux - UMR 8070 / CERLIS - UMR 8070 | |
Jury : | Président / Présidente : Jean-Michel Éloy |
Examinateurs / Examinatrices : Cécile Canut, Yves Déloye, Jean-Michel Éloy, Ronan Calvez, Alexandra Jaffe | |
Rapporteur / Rapporteuse : Jean-Michel Éloy, Ronan Calvez |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Si l'on connaît les dictionnaires comme lieu des définitions, ils en fournissent une que l'on ne perçoit pas toujours : celle de la langue elle-même. Au sein de l'hétérogène et du mouvant des usages linguistiques quotidiens, ceux-ci en circonscrivent et délimitent un certain nombre, qui se verront alors consacrés, dotés d'une certaine officialité. Les critères de sélection par lesquels les éléments lexicaux sont retenus ou écartés dépendent, entre autres contraintes, des convictions de leurs auteurs concernant les usages linguistiques qu'ils considèrent comme plus représentatifs de la langue que d'autres. Souvent conscients tant du pouvoir social de tels ouvrages que de la sélection qu'ils impliquent, leurs auteurs s'en justifient parfois dans des paratextes introductifs où sont alors explicités leurs convictions linguistiques. Les discours que l'on y trouve peuvent se fonder sur des définitions, associations d'idées, et valorisations que les auteurs peuvent tenir pour acquis, ou au contraire les détourner, subvertir, contester ; quoiqu'il en soit, ils tentent souvent de fonder performativement une définition de la langue que la liste lexicale mettra ensuite en pratique. Dans certains contextes de conflictualité politique où la définition de la langue ne va pas de soi, les préfaces de dictionnaires peuvent alors devenir de véritables arènes où s'affronteront des définitions concurrentes de la langue que chacun tentera de faire reconnaître. En travaillant sur un corpus constitué des paratextes de dictionnaires bretons publiés de 1499 à 2015, nous analysons l'évolution des discours sur la langue en fonction des situations historiques, sociales, et politiques, où se trouvent les auteurs. Nous mettons l'accent en particulier sur différents processus discursifs, notamment ceux d'identification et de différenciation, par lesquels les auteurs délimitent les frontières entre les pairs et les autres, ainsi que ceux d'origination, par lesquels ils ancrent leur situation actuelle au sein de continuités et ruptures perpétuellement redessinées. Nous abordons ainsi en particulier la manière dont la définition des ''Celtes'' a évolué en fonction des différents contextes discursifs : désignant d'abord, dans le discours celtomane, une langue mère de toutes les autres dont la bretonne était la seule forme restée pure, l'usage du terme s'orientera progressivement vers une fonction distinctive envers leurs voisins français, ceci en accord avec l'émergence d'un cadre de pensée nationaliste. C'est à la même période, vers le XIXe siècle siècle, qu'apparaîtra l'interceltisme, comme thèse d'un cousinage ethnique entre les populations de certains territoires en petite et Grande-Bretagne. Nous étudions la manière dont ce discours, né de nécessités de différenciation politique, se transfère dans les catégorisations savantes, véhiculant en même temps son lot de concepts et méthodes implicites concernant la définition de la langue. Par ailleurs, les changements sociaux survenant au XXe siècle en Bretagne auront également pour conséquence un progressif clivage entre différents profils de locuteurs : à ceux pratiquant la langue dans un contexte surtout oral, pratique, et quotidien, dont le nombre diminue, se substituent progressivement des locuteurs l'apprenant dans une démarche volontariste et militante, à partir d'un rapport scriptural-scolaire à la langue. Cette cohabitation de locuteurs ayant appris et pratiquant la langue dans des situations différentes aura mettra en concurrence les définitions de la langue. Si les différents courants auront en commun une volonté de distinction envers le français héritée du discours différentialiste ayant émergé au XIXe siècle, chacun investira la nécessité de s'en distinguer dans des dimensions différentes de la langue, cohérentes par rapport à leurs modes de socialisation linguistique. (...)