Inventer une sorcière : Intrigues et maléfices à la Cour de Vittorio Amedeo II
Auteur / Autrice : | Georgia Beltramo |
Direction : | Philippe Martin |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire |
Date : | Soutenance le 28/11/2017 |
Etablissement(s) : | Lyon en cotutelle avec Università degli studi (Turin, Italie) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences sociales (Lyon ; 2007-....) |
Partenaire(s) de recherche : | établissement opérateur d'inscription : Université Lumière (Lyon ; 1969-....) |
Equipe de recherche : Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (Lyon ; 2003-....) | |
Jury : | Président / Présidente : Pietro Adamo |
Examinateurs / Examinatrices : Brigitte Marin, Claudio Rosso, Monica Martinat |
Mots clés
Résumé
Le 14 décembre 1716 au château de Miolans commençait l’exténuant interrogatoire de Clara Maria Ribolletta, une jeune femme, «née à Asti, âgée d’environ 17 ou 18 ans», accusée de sorcellerie et de crime de lèse majesté et, finalement, pendue. Dans le dossier contenant son procès on croise également les destins de deux autres femmes, Gerolama Cuore et Marianna Muratore, toutes les deux camarades de Clara dans l'Institut d’Opéra de Turin. Dans une série discontinue d’aveux et de rétractations, de pressions psychologiques et de tortures physiques, apparaissent des trames effilochées de relations à peine ébauchées, et à resituer dans des contextes différents bien que liés. En lisant les réponses de Clara à ceux qui l’interrogent – juges séculaires appartenant au sénat des Savoies – on se demande pourquoi une fille seule, mais déjà intégrée dans les structures de charité, accuse la plupart des membres de sa propre famille, désormais bien éloignée, « d’être des sorciers marqués par le démon » et d’avoir produit un maléfice, par ordre du puissant prince de Savoie, la condamnant à mort. A l’exception notable de Sabina Loriga, les historiens qui ont jusqu'à ici abordé ce cas se sont essentiellement limités à le placer dans le cadre du bien connu bras de fer entre l'Eglise et l'Etat. Dans ces mêmes années, en effet, les deux pouvoirs s'opposaient entre eux pour l'extension ou la conservation des leurs compétences juridictionnelles. Dans cette perspective, les « inciarmi » et les maléfices seraient une occasion de conflit parmi de nombreuses autres, utilisées par le roi pour faire valoir avec force sa propre ligne vis-à-vis de l’Église catholique romaine. Nous nous trouvons dans le période exacte pendant laquelle les tribunaux civil et ecclésiastique se battent durement pour établir leurs compétences respectives sur les procédures nées autour de nombreux cas de baptêmes forcés infligés par les catholiques aux juifs. Malgré cela, dans le procès que j’examine, aucun acte d'évocation avait été accompli par la magistrature contre l'Inquisition ; l'Eglise, de son côté, n’avait pas revendiqué sa compétence légitime sur l’affaire Ribolletta. Enfin, pour tenter de comprendre les motifs qui avaient régi les comportements et les choix des participant au procès, il fallait nécessairement parcourir d’autres voies explicatives. « La complexité irrésolue de l'approche biographique » m'a permis d'affronter une série de problèmes fondamentaux pour le résultat de la recherche, à partir de la dialectique entre les normes et les comportements, entre les individus et les institutions, jusqu’au choix des différents échelles d'analyse, jusqu’à arriver aussi au rapport, souvent ambigu mais vraiment riche de possibilités heuristiques, qui lie l’histoire à la littérature. L'effronterie irréductible avec laquelle Clara s’accuse et accuse sa propre famille de sorcellerie, ainsi que la richesse extraordinaire de détails qu’elle raconte aux enquêteurs, sont des scènes méphistophéliques dignes des meilleures pages de Il Maestro e Margherita et semblent faire de l'accusée un cas vraiment exceptionnel, pour certains aspects proche de celui du Menocchio de Carlo Ginzburg: il n’y a aucun doute que Clara entretienne quelques parentés avec le célèbre oxymore « l'exceptionnel normal » inventé par Edoardo Grendi à propos du meunier frioulan. Cependant une différence fondamentale passe entre les deux cas: si Menocchio a affaire aux livres, qu’il lit et interprète jusqu’à formuler une théorie cosmogonique originale et exceptionnelle, utilisée par Ginzburg comme emblème d'une « circularité » culturelle touchant de differents milieux sociaux, Clara est une femme analphabète, elle ne dispose pas de livres avec lequels dialoguer, mais seulement de différents contextes sociaux dans lesquels elle a vécu. C’est pourquoi son histoire, accompagnée de celle des deux autres accusées et reconstruite par une rigourouse contextualisation des dynamiques relationnelles....