Les films allemands en Moselle annexée par l’Allemagne nazie (1940-1945) : histoire d’un plaisir oublié
Auteur / Autrice : | Anthony Rescigno |
Direction : | Fabrice Montebello |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Arts |
Date : | Soutenance le 04/12/2017 |
Etablissement(s) : | Université de Lorraine |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Humanités Nouvelles - Fernand Braudel (Nancy ; 2013-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire lorrain de sciences sociales (Metz ; 19..-2023) |
Jury : | Président / Présidente : Geneviève Sellier |
Examinateurs / Examinatrices : Fabrice Montebello, Christian Delage, Valérie Carré, Jean-Marc Leveratto | |
Rapporteur / Rapporteuse : Geneviève Sellier, Christian Delage |
Mots clés
Résumé
Cette étude décrit le marché des films allemands en Moselle pendant l'annexion du département à l'Allemagne nazie. Elle analyse la politique locale du cinéma mise en place par les nouvelles autorités (partie 1), la programmation des films (partie 2), leurs circulations et leurs consommations par les spectateurs (partie 3). Privilégiant une approche anthropologique du cinéma, l'observation essaie d'interroger l'efficacité des mécanismes d'hégémonie culturelle qui ne se réduisent ni à une entreprise de manipulation politique, ni à l'imposition implicite d'une vision du monde. Elle porte son attention sur le plaisir comme moteur de la conduite esthétique et expression d'une sensibilité partagée.Dès juillet 1940, le cinéma est entièrement « germanisé » : l’organisation de l’activité cinématographique est placée sous le contrôle du NSDAP et les films (Deutsche Wochenschau, Kulturfilm et longs-métrages) sont tous projetés en allemand. Pour autant, le cinéma demeure l’activité-phare de l’annexion. La fréquentation des salles de cinéma est massive notamment du fait de la qualité d'une filmographie qui était déjà la première en Europe avant l'avènement du nazisme. L'analyse du marché montre également la faible présence des films de propagande les plus spontanément associés au cinéma nazi et la normalité d'un divertissement de culture germanique centré sur le succès des genres les plus populaires (comme les films musicaux, les mélodrames, les films historiques) et sur le prestige et la beauté de vedettes admirées (Viktor de Kowa, Marika Rökk, Viktor Staal, Ilse Werner, etc.).L'étude de la réception des films allemands en Moselle annexée est l'étude de l'expérience qu'en font les spectateurs, notamment les plus jeunes d'entre eux, dont nous avons pu raviver les souvenirs par l'intermédiaire d'enquêtes orales. Les films sont un moyen de se divertir, de s’extraire d'un quotidien coercitif et répressif, et d’observer les tensions sociales inhérentes à la société de l’époque. Cette appropriation des films est à l’origine d'une neutralisation des effets idéologiques des plus virulents d'entre eux, et d’un attachement profond des spectateurs au cinéma allemand en général. Son plaisir est entretenu. Il fait l'objet d'échanges, de discussions, de partages. Mais l'assimilation systématique de tous ces films à l'idéologie nazie a rendu impossible sa transmission après la chute du Troisième Reich et la fin de la seconde guerre mondiale.Pensé volontairement comme un vecteur essentiel de la germanisation des populations de l'Est de la France appelées à devenir des Allemands à part entière, utilisé comme un instrument de propagande de l'idéologie nazie et une vitrine culturelle de l'Allemagne, le cinéma en Moselle annexée est un loisir sous influence qui se vit pourtant librement. Le plaisir du cinéma allemand est à la fois ce qui permet aux autorités de s'imposer politiquement dans l'ordre du loisir et dans le même temps, ce qui rend possible, par le biais du jeu, caractéristique de l'homo ludens, le souci de soi et l'estime des autres. Cette ambivalence paradoxale est le propre de l'hégémonie culturelle