Thèse soutenue

Recherche biomédicale et journalisme en situation d'incertitude : validité des résultats de la recherche biomédicale et couverture médiatique
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Auteur / Autrice : Estelle Dumas
Direction : Andy SmithFrançois Gonon
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Science politique
Date : Soutenance le 10/11/2017
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, politique, santé publique (Bordeaux)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre Émile Durkheim - Science politique et sociologie comparatives (Pessac, Gironde)
Jury : Président / Présidente : Lucienne Letellier
Examinateurs / Examinatrices : François Gonon, Lucienne Letellier, Isabelle Boutron, Tommaso Venturini
Rapporteurs / Rapporteuses : Isabelle Boutron, Tommaso Venturini

Résumé

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De nombreux articles dans les journaux scientifiques font état du manque de reproductibilité des études biomédicales. Cette « crise de la reproductibilité » ne doit pas être confondue avec les problèmes de fraudes ou de plagiats. Elle recouvre un phénomène plus général aux disciplines scientifiques : un grand nombre de résultats publiés ne sont pas reproduits.Ce manque de reproductibilité n’est pas choquant en soi : la connaissance scientifique est un processus cumulatif qui évolue de résultats prometteurs mais incertains pour arriver à un consensus après réplication des observations par les pairs. L’incertitude est donc inhérente à la recherche en train de se faire. Cependant, cette incertitude ne semble pas être prise en compte dans les interactions entre recherche et société, notamment au travers des médias.Cette thèse s’intéresse à la façon dont l’incertitude est présentée dans les médias en se basant sur l’étude de la couverture médiatique de résultats de la recherche biomédicale dont la validité est connue. Nous avons constitué une large base de données regroupant des résultats de la recherche biomédicale couvrant 3 domaines de la recherche, la psychiatrie, la neurologie et un échantillon de 4 maladies somatiques. Nous avons sélectionné des études décrivant l’association de facteurs de risques (génétiques, environnementaux, biochimiques) avec différentes pathologies. La validité des études initiales a été calculée en comparant leurs résultats à ceux des méta-analyses sur le même sujet. Dans 65% des cas, les résultats des études initiales ne sont pas confirmés par ceux des méta-analyses et ce même si elles sont publiées dans les journaux prestigieux. Nous avons également identifié, parmi les études de la base de données, celles qui avaient retenu l’attention de la presse anglo-saxonne. Celle-ci privilégie les études scientifiques initiales publiées dans des journaux scientifiques prestigieux et présentant des implications directes pour le lecteur. La validité de ces études n’est pas meilleure que celles des publications scientifiques : plus de la moitié n’ont pas été confirmées et la presse ne s’en fait quasiment jamais l’écho. D’autre part, l’analyse du contenu des articles de presse révèle que les journalistes et leurs rédacteurs en chef ne prennent que rarement en compte l’incertitude scientifique. En effet, la majorité des articles précise qu'il s'agit bien d'une découverte initiale, mais seulement 21% mentionnent que la découverte doit être confirmée par des études ultérieures. Ces mentions sont principalement le fait des scientifiques et tendent à disparaître dans les articles les plus récents. Enfin, au travers d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de journalistes scientifiques, nous avons confirmé que ceux-ci utilisaient volontiers les résultats publiés dans les journaux scientifiques prestigieux qu’ils considèrent comme des sources fiables. L’enquête révèle que ces journalistes méconnaissent le fonctionnement de la recherche : les deux tiers ne savent pas que les résultats initiaux sont incertains ou bien confondent incertitude et fraude. Quant au tiers restant, il indique les difficultés à faire valoir cette incertitude auprès de leur hiérarchie respective.Plus généralement, cette thèse discute de l’influence grandissante de facteurs extérieurs à l’activité scientifique dans le processus de production de connaissances. En particulier, la prise en compte par les chercheurs et les institutions scientifiques de critères d’intérêt médiatique pourrait influencer les stratégies de recherche et la fiabilité des résultats scientifiques. D’autre part, la détérioration des conditions de travail des journalistes et leur méconnaissance du fonctionnement de la recherche soulèvent des interrogations importantes sur la pertinence des informations présentées dans la presse et sur la qualité du débat public des questions de santé.