L'héritage malgré soi ? Le couple patrimoine/territoire à l'épreuve de la Caraïbe
Auteur / Autrice : | Anne Pajard |
Direction : | Bruno Ollivier |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sciences de l'information et de la communication |
Date : | Soutenance le 24/11/2017 |
Etablissement(s) : | Antilles |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Milieu insulaire tropical : dynamiques de développement, sociétés, patrimoine et culture dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à-Pitre) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire caribéen de sciences sociales - Laboratoire caribéen de sciences sociales / LC2S |
Jury : | Examinateurs / Examinatrices : Béatrice Galinon-Mélénec, Yves Jeanneret, Serge Agostinelli, Julia Bonaccorsi, Agnès Chauveau |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Cette thèse explore la complexité de la notion de patrimoine depuis un contexte caribéen, à la fois spécifique et intimement lié aux mouvements du monde depuis le XVIe siècle. Elle s’intéresse à l’entre-deux qui caractérise le patrimoine, entre la dimension héritée -perçue comme un donné inaliénable, malgré soi-, et la dimension construite au présent pour un devenir, manifestée par ce que l’on souhaite transmettre aux générations futures. Le patrimoine se déploie dans la relation singulier-collectif dont il convoque les imaginaires du monde, les connexions entre des espaces et des temporalités diverses. Il peut être perçu comme un baromètre de la capacité des sociétés à s’inscrire dans un ordre communicationnel envisagé comme un acte de partage. La perspective multidirectionnelle proposée confronte des mobilisations historicisées d’un patrimoine outil des pouvoirs, pris dans des convergences politiques, économiques et techniques dans lequel se forge également l’ordre de la connaissance, aux fonctions sociales du patrimoine qui renvoient à une quête de sens, de lien social, de ressources et s’inscrit dans des territorialités complexes. La Caraïbe, territoire polythétique, présente un point de vue inédit pour remettre en question ce couple patrimoine/territoire et les paradigmes problématiques que son institutionnalisation a naturalisé pendant la période de formation des identités nationales européennes, période corrélée à l’émergence de la Modernité. La Traite négrière transatlantique, le système esclavagiste fondé sur la race puis la colonisation constituent une histoire associée à la souffrance, un passé transnational complexe dont la mise en partage est encore problématique, un héritage que personne ne souhaite accepter et qui marque pourtant encore à divers égards les rapports sociaux contemporains. La capacité à performer, à composer avec l’apport de chacun, à transmettre des savoirs-faire s’est déployée dans les sociétés caribéennes avec et contre les systèmes d’oppression, comme une forme de résistance et de survie, une ressource vitale essentielle du point de vue pratique et symbolique. Longtemps rejetés de l’espace normatif du patrimoine, ces héritages incorporent des perceptions peu compatibles avec les définitions et les modalités de traitement figées du patrimoine institutionnel articulées autour des productions matérielles. Le discours poétique et intellectuel caribéen à partir des années 1960-1970 s’est forgé dans une double dynamique, associant la déconstruction critique de l’ordre institué initiée par la première génération, à un imaginaire de l’espace commun inspiré de la volonté de revaloriser les héritages, leur créativité et la capacité d’action des Hommes à réinventer des imaginaires du monde fondés sur la Relation. Ce projet caribéen est ici lu comme la proposition d’une rupture patrimoniale créatrice liée à un territoire en rupture avec la superposition-fusion de l’espace politique, physique et culturel imposé par le prisme de l’imaginaire national. Cette thèse part sur les traces de ces dimensions relationnelles dans lesquelles interviennent des constructions historiques, des trajectoires et territorialités multiples, puis tente de mettre au jour les paradigmes naturalisés, les héritages et les contraintes contemporaines qui participent de cet empêchement patrimonial qui n’est pas sans relation avec des conflits que suscite le traitement du passé dans l’espace public. Le dernier mouvement met ces recherches en perspective de l’observation de dispositifs effectifs : les bibliothèques numériques de la Caraïbe. Il en analyse les modalités de construction, interroge les contextes individuels et collectifs qui les animent et les territorialités multiples qui interviennent dans ces hétérotopies ultimes de la Caraïbe, manifestations effectives de l’utopie caribéenne.