La pratique infirmière en psychiatrie : entre contraintes managériales et résistances cliniques
Auteur / Autrice : | Frédéric Mougeot |
Direction : | Gilles Herreros |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie et anthropolgie |
Date : | Soutenance le 04/12/2015 |
Etablissement(s) : | Lyon 2 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences sociales (Lyon ; 2007-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Equipe de recherche : Centre Max Weber (Lyon ; Saint-Étienne ; 2011-....) |
Jury : | Président / Présidente : Bruno Milly |
Examinateurs / Examinatrices : Gilles Herreros, Marie-Anne Dujarier | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Vincent de Gaulejac, Salvador Juan |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Depuis l’initiation du processus d’ouverture des hôpitaux psychiatriques sur la ville en 1960, le travail des soignants de la psychiatrie publique hospitalière a fait l’objet de profondes transformations. A partir d’un travail d’observation directe au long cours de la vie quotidienne des équipes de soin à l’hôpital psychiatrique et d’un matériau qualitatif complémentaire composé d’entretiens et de documents d’archives, cette thèse décrit la pratique infirmière en psychiatrie. L’héritage de métier des infirmiers de la psychiatrie publique hospitalière peine à s’exprimer dans la pratique des soignants. Les principes, les références et les pratiques qu’ils ont intégrés au cours de leur socialisation professionnelle sont remis en cause par un double processus de déprofessionnalisation et de déspécialisation de la psychiatrie. En 1992, le diplôme protégeant les frontières du groupe professionnel des infirmiers de la psychiatrie est supprimé au profit d’une formation associant ses membres au groupe plus large des infirmiers généraux. Dans le même temps, les réformes hospitalières récusent la spécificité de la filière de soin psychiatrique et soumettent les soignants de la psychiatrie aux mêmes injonctions que celles pesant sur les autres filières de l’hôpital public. Enfin, le passage de la psychiatrie à la santé mentale transforme le rôle de l’hospitalisation en psychiatrie. Autrefois lieu unique de la prise en charge du mal-être, l’hôpital psychiatrique est aujourd’hui le dernier recours pour des patients en crise aigüe ne pouvant être traités au sein des dispositifs extrahospitaliers de santé mentale. Le recentrement sur les pathologies les plus lourdes et sur la gestion de la crise aigüe, l’injonction à la performance et à la qualité et la remise en cause des savoirs au fondement du métier d’infirmier en psychiatrie traduisent la reformulation du mandat accordé aux soignants de la psychiatrie. Aujourd’hui tributaires d’un mandat d’ex-compagnement, les infirmiers de la psychiatrie publique hospitalière sont chargés de soigner les patients et de les raccompagner au plus vite vers la sortie de l’établissement. Ce mandat paradoxal induit de nouvelles pratiques. Dans le quotidien des unités de soin, les infirmiers chargés à la fois de vider les lits et de prendre soin des patients mobilisent les outils thérapeutiques au service de la gestion des flux de patients. Ils participent ce faisant à la création d’un quotidien aux règles strictes et à l’imposition d’un rôle de patient particulièrement exigeant. Ne pouvant accorder du temps à l’ensemble des patients, ils procèdent à la sélection de quelques malades méritants et se désinvestissent collectivement des patients indignes de leur engagement. Face aux contraintes managériales et gestionnaires, les infirmiers de la psychiatrie sont loin d’être démunis. Ils parviennent par leurs résistances à lutter contre la colonisation de la politique du chiffre et à protéger leur métier. Leur maîtrise de l’art du braconnage leur confère un pouvoir leur permettant de subvertir les instruments de pouvoir issus du New Public Management et de renverser les effets de la dominance professionnelle des médecins. Profession subalterne dans la hiérarchie hospitalière, les infirmiers en psychiatrie se présentent aujourd’hui, au regard de leur pratique professionnelle, comme les principaux artisans du quotidien de la psychiatrie.