De la mécanographie à l’informatique : les relations entre catégorisation des techniques, groupes professionnels et transformations des savoirs managériaux
Auteur / Autrice : | Cédric Neumann |
Direction : | Michel Lescure |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire |
Date : | Soutenance en 2013 |
Etablissement(s) : | Paris 10 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Économie, organisations, société (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 2000-....) |
Mots clés
Résumé
L’histoire du traitement de l’information s’est attachée à réinscrire l’apparition et l’utilisation des ordinateurs dans un mouvement plus large de mécanisation des tâches administratives et plus généralement de l’écrit. Cette perspective féconde a permis de relativiser les analyses portant sur la « société de l’information » dans lesquelles l’utilisation des ordinateurs est un phénomène sans antécédents qui entraîne des transformations brutales et inédites des sociétés grâce à la production accrue d’informations et la rapidité de leur circulation. Cependant la continuité entre les machines mécanographiques et les ordinateurs, qui se vérifie tant au niveau des constructeurs qu’à celui des clients et de leurs utilisations, n’explique pas pourquoi durant les années 1960 les ordinateurs n’ont plus été conçus comme un développement de la mécanographie mais comme un phénomène radicalement différent de celle-ci. C’est précisément la construction de cette différence qui constitue l’objet principal de notre thèse. Pour cela notre travail porte sur une période relativement courte, comparée aux précédentes analyses, allant de 1945 à 1975 – qui se caractérise dans un premier temps par l’extension de l’utilisation des machines à cartes perforées puis leur remplacement progressif par des ordinateurs – et sur un espace délimité, la France, dans lequel l’invention d’un nouveau terme, l’informatique, marque la différence symbolique entre la mécanographie et les ordinateurs. Pour comprendre comment l’informatique a pu apparaître comme une « révolution » par rapport à la mécanographie, il ne faut pas limiter l’étude aux usages des différents matériels mais restituer les relations d’équivalence existant entre les machines, le personnel les utilisant, les différents domaines d’activité des entreprises et les savoirs que celles-ci mobilisent. C’est la transformation de ces relations qui permet d’expliquer que des utilisations comparables des différents matériels se soient accompagnées de la construction de catégories hétérogènes et antinomiques que sont la mécanographie et l’informatique. Nous montrons ainsi que la notion de mécanographie, utilisée pour désigner l’ensemble des matériels participant à la rationalisation des opérations administratives, se situe dans la stricte continuité des principes de l’OST. La mécanographie trouve sa principale justification dans l’augmentation de la productivité du travail administratif qui repose sur l’étroite spécialisation des mécanographes et l’utilisation d’un personnel féminin pour les tâches les plus dévalorisées. Le personnel mécanographe ne reçoit qu’une brève formation assurée le plus souvent par les constructeurs (ch. 1). A l’inverse, l’utilisation des ordinateurs ne renvoie plus uniquement à la productivité mais à l’amélioration de la qualité de la gestion. C’est l’association étroite des ordinateurs aux tâches de conception et de direction qui donne naissance à la notion d’informatique dans le champ économique et aux croyances constituant la « révolution informatique » (ch. 2). Dans ces conditions, les individus travaillant sur les ordinateurs ne sont plus considérés comme un personnel d’exécution mais de conception ce qui conduit à la constitution d’un marché du travail des informaticiens autonome de celui des machines. L’assimilation des informaticiens à des cadres et l’augmentation du capital culturel requis contribue à exclure la majorité des anciens mécanographes des emplois liés aux ordinateurs et approfondir la différence entre informatique et mécanographie (ch. 3). Les propriétés distinctives des informaticiens par rapport aux mécanographes sont renforcées par la création de formations supérieures en informatique de gestion qui doivent alimenter le marché du travail des spécialistes. Néanmoins, le contenu de ces formations est un enjeu de lutte entre les universitaires les assurant et les employeurs (ch. 4). Enfin, à la différence de la mécanographie, l’informatique est constituée comme un outil spécifique à l’ensemble des cadres. D’une part, parce que les grandes écoles introduisent l’enseignement de l’informatique dans leurs cursus, transformant celle-ci en un savoir-faire incontournable pour leurs élèves (ch. 5), d’autre part, parce que la transformation des cadres en « utilisateurs » par l’intermédiaire de la formation permanente est conçue comme le moyen de parvenir à l’utilisation optimale de l’informatique (ch. 6).