Le prix de la douleur : Gestion des désaccords entre magistrats, dans un tribunal brésilien de seconde instance
Auteur / Autrice : | Rubens Damasceno Morais |
Direction : | Véronique Traverso |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sciences du langage |
Date : | Soutenance le 05/07/2013 |
Etablissement(s) : | Lyon 2 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Lettres, langues, linguistique, arts (Lyon ; 2007-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Interactions, corpus, apprentissage, representations |
Jury : | Président / Présidente : Wander Emediato de Souza |
Examinateurs / Examinatrices : Marianne Doury, Christian Plantin | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Barbara Villez |
Mots clés
Résumé
L’enjeu de la présente recherche est d’examiner la gestion du désaccord entre magistrats dans une Cour d’Appel brésilienne, tout en procédant à l’identification de la stase (du conflit) entre eux, dans les moments de définition du juste montant (le « suum cuique tribuere »), souvent désigné par l’expression pretium doloris ou « prix de la douleur ». On s’intéresse moins au côté technique et strictement juridique des affaires de dommages et intérêts et plutôt à l’analyse argumentative/rhétorique des interactions enregistrées en audio. Après des réflexions à propos de quelques théories de l’argumentation (Aristote, Ducrot, Grize, Toulmin et autres), de l’argumentation juridique (Atienza, Perelman, Cornu et autres), des interactions verbales (Goffman, Kerbrat-Orecchioni, Traverso et autres) et des émotions en contexte d’interaction argumentative (Plantin), ce travail offre quatre chapitres analytiques où, parmi des analyses descriptives, on examine de près la façon que les magistrats/interactants allient la raison (la lettre de la loi) au côté émotionnel, au moment de qualifier une affaire en tant que « dommage », concept flou, ouvert à maintes possibilités d’interprétation juridique, selon les juristes brésiliens (Reis, Cahali et autres). On procède à un inventaire des critères, parfois très originaux, qui font toute la richesse du moment des délibérés connu sous le terme de quantum debeatur (ou, si l’on préfère, l’ad quantum). De cette façon, on constate que les magistrats peuvent même utiliser des « nonlegalist factors », ajoutant aux arguments techniques juridiques quelques valeurs, qui supposent une appréciation subjective des affaires en cours de jugement. Dans ces analyses, on montre encore comment l’hétéro-attribution d’une émotion acquiert une valeur argumentative, sans que cela disqualifie les jugements en appel pour autant. On examine aussi les procédés d’atténuation du désaccord exprimés par les magistrats, tout en mettant en relief la dimension stratégique de l’adoucissement conversationnel, car, comme on peut le constater, les attitudes des magistrats lors des délibérés manifestent une dimension rhétorique, dans les moments de définition du pretium doloris. De cette façon, en considérant la richesse et diversité des formules de politesse (par exemple, l’expression data venia), des réparateurs (excuses et justifications), des modalisateurs, entre autres procédés identifiés par la pragmatique des interactions, on découvre plusieurs façons très efficaces de gérer le conflit, employées par les magistrats lorsqu'ils prennent en charge le rôle actanciel d’opposant lors des délibérés. On repère aussi quelques stratégies argumentatives utilisées exclusivement en contexte d’interaction, comme l’accord dissonant, ce qui nous permet de pointer la “colonisation argumentative” du discours d’un magistrat par l’autre. L’identification de ce que nous avons nommé renverseur (dispositif qui permet aux magistrats de retourner à 180° une décision) nous aide aussi à comprendre comment les avis des magistrats peuvent s’affronter irrévocablement, donnant place à des stases irréversibles.On montre aussi, à partir de quelques études de cas, comment fonctionne l’assimilation argumentative en tant que phénomène interactif-argumentatif qui émerge dans les moments de stase réversible entre les magistrats, faisant s'écrouler les barrières argumentatives entre les interactants, avant que l’un d’entre eux ne manifeste un changement de disposition vis-à-vis de la décision à prendre. On présente enfin un type d’argument très caractéristique du corpus TRIBUNAL (le corpus dont on dispose pour cette recherche) : l’argument de l’expérience vécue, lequel apparaît dans les séquences examinées et qui donnent une valeur argumentative et rhétorique non négligeable aux votes des magistrats.