Thèse soutenue

Dieu n'est pas chirurgien : un cheminement éthique à la recherche des traces du sacré en chirurgie

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Auteur / Autrice : Michel Caillol
Direction : Éric Fiat
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Philosophie pratique
Date : Soutenance le 18/12/2012
Etablissement(s) : Paris Est
Ecole(s) doctorale(s) : OMI - Organisation, Marchés, Institutions
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : EEP - Espaces Ethiques et Politiques - Institut Hannah Arendt - Espace Ethiques et Politiques - Institut Hannah Arendt
Jury : Président / Présidente : Dominique Folscheid
Examinateurs / Examinatrices : Éric Fiat, Jean-Robert Harlé
Rapporteurs / Rapporteuses : Pierre Le Coz, Alain-Charles Masquelet

Mots clés

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Mots clés contrôlés

Résumé

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La différence entre Dieu et un chirurgien, réplique-t-on classiquement à celui-ci lorsque il s'estime comme créateur de son opéré, c'est que Dieu, lui, ne se prend pas pour un chirurgien. Qu'y a-t-il dans cette action qui soit si spécifique que son agent, le chirurgien, puisse à ce point risquer de s'idolâtrer ?Il semble bien, tout d'abord, qu'il y ait dans la chirurgie une réelle dimension religieuse c'est-à-dire un rapport certain avec le sacré – l'interdit –, ce que l'on ne doit pas profaner. Le questionnement sur le chirurgien et la chirurgie éclaire cet aspect. Si tout chirurgien est d'abord un médecin, et comme tel s'il a bien pour mission de soulager une personne humaine lorsqu'elle est affectée par la maladie ou le traumatisme, pour autant son mode « opératoire » est particulier. La chirurgie, malgré la prégnance de plus en plus forte de l'appareil techno-scientifique à son service, reste encore une activité manuelle et particulièrement immédiate. Elle nécessite certes une connaissance scientifique, mais sa technicité se nourrit de l'expérience pratique. C'est ici qu'elle recèle l'autre dimension sacrée que représente le sacrifice, de manière sans doute plus aboutie que la médecine purement clinicienne. Mais elle est surtout agressive, parce que douloureuse et sanglante, et transgressive, parce qu'elle autorise son agent à inter-venir, à rentrer dans un corps humain. Cette intervention ne se fait jamais sans un rituel quasi religieux qui semble attester de la sacralité de son champ : le corps-personne de l'opéré. Malgré la profonde influence de la Modernité qui, avec Descartes en particulier, vise à dissocier radicalement le corps de l'esprit, une analyse rigoureuse de la pratique chirurgicale tend à infirmer cette illusion, même s'il y a nécessité d'objectivation pour parvenir à assumer la transgression qui consiste à ouvrir un corps. La phénoménologie nous éclaire sur la subjectivité transcendantale du chirurgien qui, en même temps qu'il vise son opéré comme l'objet de son faire, ne peut pas être complètement extérieur à cet opéré et à son intervention. Le chirurgien ne saurait être le simple réparateur d'un objet, ni même un vétérinaire, obligé qu'il est de par la spécificité morale de l'être humain qu'il prend en charge. Il devient alors plus que la cause efficiente de l'opération chirurgicale, pour être nécessairement concerné par sa finalité. Cette obligation de viser à la restauration du pouvoir-être au monde de son opéré, plus que de le re-mettre dans une norme arbitraire, fait en effet de la chirurgie une action morale. Car oublier cette finalité, cherchant à s'exonérer de cette responsabilité qui dépasse le pur faire, ce serait réduire la chirurgie à une simple fabrication. La démesure alors guetterait celui qui pourrait se prendre pour Dieu, mais au mauvais sens du concept, puisque s'ouvriraient subrepticement les portes de la barbarie. Etre instrumentalisé par le désir jamais assouvi de son patient, comme être prisonnier de sa pure technicité, sont alors les deux écueils, intimement liés, qui empêchant le chirurgien de décider, ferait perdre toute dimension morale à son action. D'autant que le lent « désenchantement du corps » présent dans nos sociétés occidentales contemporaines, semble participer de ce déni. La question de la contribution de la chirurgie au vaste désir de transformation de l'homme, véhiculé par le transhumanisme, s'abreuve peut-être à la source d'une insidieuse barbarie.Retrouver la nature spirituelle de l'homme reste alors sans doute le point d'appui le plus sûr pour parer à une telle dérive, en sacralisant ainsi, et la personne de l'opéré, et le geste d'y intervenir, lui rendant peut-être son véritable sens._____