Thèse soutenue

Microgouttelettes pour la biologie et la chimie en systèmes microfluidiques

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Auteur / Autrice : Ali Fallah-Araghi
Direction : Andrew D. Griffiths
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Chimie
Date : Soutenance en 2011
Etablissement(s) : Strasbourg

Mots clés

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Mots clés contrôlés

Résumé

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La compartimentation de la soupe primitive dans des vésicules est pensée comme étant une des premières étapes dans l’apparition de la vie. Ces compartiments primitifs permettent de lier une information génétique (génotype) avec les produits de son expression (phénotype). C’est une des premières étapes offrant la possibilité d’évolution et d’hérédité. En laboratoire l’évolution dirigée est basée sur les mêmes mécanismes de mutation et de sélection utilisés par l’évolution naturelle. Pour ce faire, le génotype et le phénotype sont couplés par une variété de méthodes, parmi les quelles la Compartimentation In Vitro (CIV). Cette technique implique la création d’une émulsion dans laquelle des molécules d’ADN ou d’ARN, portant l’information génétique, sont isolées dans des gouttelettes aqueuses dispersées dans une phase d’huile non miscible. Ce confinement des gènes dans les gouttelettes permet leur maintien avec leurs produits d’expression établissant ainsi un lien entre génotype et phénotype. La conservation d’un lien entre génotype et phénotype est un pré-requis à l’évolution dirigée de macromolécules biologiques. Ces gouttelettes d’eau dans l’huile permettent de réaliser des millions d’expériences dans des compartiments microscopiques ayant des volumes de 103 à 109 fois plus petites que le puits d’une plaque de microtitration (1-2 μL). L’utilisation de ces émulsions pour l’évolution dirigée a déjà permis la sélection d'un large éventail de protéines et d’ARN impliqués dans différentes réactions catalytiques. Cependant ces émulsions d’eau dans l’huile formées jusque là par agitation restent relativement polydisperse. Ce qui signifie qu’un gène suivant le volume de la goutte dans laquelle il se trouve, peut exprimer un phénotype différent ce qui rend la sélection difficile. L’autre inconvénient de cette technique est la difficulté de modifier le contenu des gouttes une fois formées. Récemment ces inconvénients ont pu être surmontés par le couplage de la CIV avec la microfluidique en gouttelette. La polydispersité des gouttes est de moins de 3% et les gouttelettes, en passant par différents modules, peuvent être mélangées, fusionnées, divisées et triées en fonction de leur contenu. De plus ces opérations s’effectuent à très haut débit (10000 gouttes s-1 pour la production des gouttelettes et 2000 gouttes s-1 pour la fusion et le tri des gouttelettes, par exemple). Un des principaux objectifs de cette thèse est la mise au point d’un système de sélection en gouttelettes microfluidiques pour l’évolution dirigée de protéines. La protéine modèle utilisée pour valider la plateforme microfluidique est la β-galactosidase. L’activité de la β-galactosidase peut être mesuré grâce à un substrat fluorogénique la Fluorescéine di-β-D-Galactopyranoside (FDG). Après avoir optimisé les conditions de détection de l’activité enzymatique de la β-galactosidase, un système microfluidique permettant l’amplification d’ADN puis sa Transcription et la Traduction In Vitro (TTIV) en protéines en gouttes a été élaboré. Pour l’amplification des molécules uniques d’ADN en gouttelette nous avons utilisé “l’Hyperbranched Rolling Circle Amplification” (HRCA). Nous avons pu observer une amplification d’ADN par le HRCA dans des émulsions ne contenant jusqu’à un gène pour 50 gouttes. Ce résultat est en adéquation avec la littérature qui affirme que l’amplification par le HRCA est aussi sensible et efficace que la PCR avec la différence qu’elle est isotherme. Des molécules uniques d’ADN, LacZ et LacZmut, codant pour la protéine sauvage β-galactosidase et la protéine mutée sans activité, ont été encapsulées dans des gouttes de 1,8 pL. Pour se faire le milieu aqueux, contenant le gène et le milieu d’amplification HRCA, est poussé dans une phase d’huile perfluorée, contenant 2% de surfactant, à travers une jonction de 10μm dans la puce microfluidique. L’émulsion est ensuite collectée dans un capillaire et incubée. Une fois réinjectées dans une puce d’analyse, il a été possible de mesurer la fluorescence des gouttelettes. En utilisant des concentrations d’ADN de 0. 75 à 370 pg/μl (0. 02 à 10 gènes par goutte) nous avons pu observer deux populations distinctes de gouttelettes correspondant aux gouttelettes vides (émettant une faible fluorescence) et celles contenant de l’ADN (émettant une forte fluorescence). La détection de l’ADN s’est faite grâce à une molécule fluorogénique émettant une fluorescence une fois intercalé entre les bases de l’ADN. Il a été possible de démontrer que l’encapsulation des molécules d’ADN dans les gouttelettes suit la loi de Poisson. Pour exprimer le gène LacZ nous fusionnons ensuite les gouttes contenant le produit de l’amplification HRCA avec une émulsion contenant un milieu de TTIV. Pour ce faire les gouttelettes contenant l’ADN amplifié sont réinjectées dans une puce de fusion. Les gouttelettes de 1,8 pL sont synchronisées avec des gouttelettes de 18 pL contenant le milieu de TTIV additionné de FDG, le substrat de la β-galactosidase. Les paires de gouttes HRCATTIV sont fusionnées et collectées dans un capillaire pour être incubées. En réinjectant cette émulsion, il a été possible de distinguer deux populations de gouttes correspondant au variant actif LacZ et au variant inactif LacZmut. L’amplification de gènes uniques en goutte a été étendu à la “Polymerase Chain Reaction“ en émulsion (ePCR). L’avantage de l’ePCR est qu’on amplifie directement des gènes, et non des plasmides comme dans le cas du HRCA. Ceci implique qu’une banque de variant n’a pas besoin d’être clonée en plasmide avant d’effectuer une sélection. La plateforme d’évolution dirigée a été complétée par un système de tri permettant la récupération de quelques gouttes positives parmi des millions de gouttes négatives et ce à très haut débit, avec une grande robustesse ainsi qu’un très faible taux d’erreur. Pour valider le système de sélection nous avons encapsulé, dans des microgouttelettes d’eau dans l’huile, des gènes uniques amplifiés par PCR. Après amplification chaque goutte, contenant environ 30. 000 copie du gène encapsulé au départ, à été fusionnée avec une autre goutte contenant une solution de TTIV et le substrat fluorogénique. L’electrocoalescence de gouttes positives (fluorescentes) avec un flux aqueux a été utilisée pour trier sélectivement les gouttes montrant une activité catalytique. Nous avons démontré, par la sélection de mélanges de gènes LacZ, codant pour la β-galactosidase, et LacZmut, codant pour le variant inactif de la β-galactosidase, que ce system peut trier jusqu’à 2000 gouttes par seconde : la proportion de gène LacZ a été enrichie 500 fois à partir d’une proportion de départ d’un gène LacZ pour 100 gènes LacZmut. En effet le taux des faux positifs et faux négatifs a été inférieur à 0,004 (moins d’une goutte pour 250 gouttes vérifiées) et les résultats nous indiquent que l’efficacité de la sélection est limitée par la co-encapsulation de plusieurs gènes, décrits par la loi de Poisson. Nous avons montré un enrichissement en variant actif, exprimant β-galactosidase, à partir d’un mélange de variant LacZ/ LacZmut. Ce système de sélection modèle en gouttelettes a pu être réalisé avec un enrichissement très proche de l’enrichissement théorique décrit par la loi de Poisson. Ces résultats ont clairement démontré une grande fiabilité de notre plateforme de sélection se composant de l’encapsulation de molécules unique d’ADN dans les gouttes, leur amplification au sein de la goutte, l’expression des gènes et le tri des variant actifs. Une étude physico-chimique de l’interface de la microgouttelette a été effectuée à travers une réaction fluorogénique au sein de microgouttelettes, par le biais de la formation d’une liaison imine à partir d’un aldéhyde et d’une amine. Cette réaction bi-moléculaire est très lente et thermodynamiquement défavorable dans l’eau. Cependant, une fois dans des gouttelettes de 40pL le taux initial de formation du produit et le rendement à l’équilibre de la réaction sont sensiblement décalée vers la formation du produit fluorescent. Dans les gouttelettes de 2,5 pL le taux initial de la formation du produit imine a augmenté d’un facteur de 28 fois et le rendement à l’équilibre de la réaction d’un facteur de 29 fois par rapport à la même réaction effectuée en tube. Le taux initial de formation du produit et le rendement à l’équilibre de la réaction sont tous deux proportionnels au rapport de surface sur volume de la gouttelette, augmentant quand le volume de la gouttelette baisse, indiquant que la réaction est influencée par l’interface de la gouttelette. Cette accélération peut être expliquée par une baisse de l’entropie des réactifs. A l’interface la dimensionnalité de la réaction est réduite de trois à deux dimensions, résultant en une concentration en réactifs élevé, augmentant ainsi le taux initial de formation du produit et poussant l’équilibre de la réaction vers la formation du produit. En 1968, Adam et Delbruck ont proposé que l’efficacité des collisions intermoléculaires (et par conséquent l’efficacité de la réaction) pouvait être augmenté avec la réduction de la dimensionnalité d’un espace à trois dimensions vers une surface à deux dimensions. L’idée que la vie ait pu émerger sur une surface à deux dimensions est apparue en 1949 avec la théorie de l’argile de Bernal. Depuis d’autres théories sur la chimie sur des surfaces ont été proposées. L’évaporation d’aérosols à la surface des océans peut avoir généré des concentrations suffisamment élevé de réactifs pour la synthèse chimique pré-biotique. Ceci suggère que des compartiments de la taille d’une cellule peuvent être des environnements favorables pour la chimie de synthèse et que les gouttelettes ou d’autres systèmes avec un rapport de surface sur volume élevé peuvent avoir jouée un rôle important sur la synthèse chimique pendant la vie pré-biotique. En conclusion, nous avons mis au point un système de sélection totalement in vitro en microfluidique en gouttelettes. Il a été démontré que nous étions capables d’enrichir en variant actifs à partir d’une population composée principalement de variant inactif. Le système est robuste et peut être utilisé pour l’évolution dirigé de différentes protéines et d’acides nucléiques. De plus L’étude de l’interface des gouttelettes nous indique que ces microréacteurs peuvent avoir une activité catalytique sur leurs contenus.