Pour une théorie de la réception ''communo-culturelle'' de la lecture : le sujet lecteur commun : réception d'Atala de René de Chateaubriand dans des aires culturelles variées : cas de la Guadeloupe, de la Polynésie et de la métropole
Auteur / Autrice : | Christine Lara |
Direction : | Marie-José Fourtanier |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Langue et littérature française |
Date : | Soutenance en 2010 |
Etablissement(s) : | Toulouse 2 |
Résumé
Cette étude se propose d’analyser la réception de la lecture au sein d’aires culturelles variées. Mon postulat est que la réception de la lecture par un lecteur empirique, coopératif ou abstrait, se fait à deux niveaux : celui que définissent les théoriciens de la réception de la lecture comme Iser, Eco, Jauss ou Picard, un niveau individuel où le lecteur crée, complète le texte et un autre niveau que je définirai dans la thèse, où la lecture se fait en fonction d’une culture partagée, d’une culture commune. Wolfang Iser, dans L’Acte de lecture (1985), cherche à découvrir ce qui se produit dans l’instance lectrice au moment de sa lecture. Pour ce théoricien, le lecteur est aussi créateur du texte. Il montre que le lecteur réagit aux sollicitations inscrites dans le texte et qui pré-orientent sa réception. Pour lui, l’œuvre organise et dirige la lecture. Elle conduit le lecteur, le guide dans sa lecture de l’œuvre. Pour Umberto Eco, dans Lector in fabula (1989), le lecteur idéal répond à des normes prévues par l'auteur, c’est un lecteur modèle qui coopère pour compléter le texte, « tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir ». Le lecteur coopère ainsi, en actualisant le texte, ce lecteur Modèle est capable de communiquer avec l’auteur qui a glissé pour lui des indices dans le texte. Grâce à sa compétence encyclopédique, le lecteur peut construire sa lecture. Hans-Robert Jauss, quant à lui, dans son ouvrage Pour une esthétique de la réception, qui réunit des textes écrits entre 1972 et 1975, critique l’histoire littéraire qui n’a toujours accordé d’importance qu’à deux instances : l’auteur et le texte. Jauss revendique la participation du lecteur à l’œuvre. Le lecteur prend donc possession du texte en l’actualisant, en l’insérant dans un champ référent défini par ses références personnelles, culturelles, sociales, son propre vécu. Michel Picard, théoricien de la lecture littéraire, dans son ouvrage La lecture comme jeu, (1986) s’intéresse plus particulièrement au lecteur réel, empirique, qui lit avec son corps, celui que nous rencontrerons le plus souvent, au long de cette étude. Le sujet lecteur est au cœur des recherches des théoriciens de la lecture littéraire. Il est la troisième instance de la triade (auteur, texte, lecteur). Ces théoriciens ont défini un premier niveau de la réception, plus personnel, plus individuel, qu’un second niveau que je cherche à mettre en évidence et à théoriser. Ce nouvel aspect de la réception, que je définirai comme communo-culturel, montre que le lecteur réagit aux sollicitations culturelles instaurées dans le texte et apporte les siennes selon l’histoire et la culture de sa communauté, de son peuple. En effet, chaque mot, chaque situation que lit l’élève lecteur, déclenche en lui un phénomène de mémoire culturelle, issu du patrimoine culturel qu’il partage avec sa communauté, de son histoire commune, ancestrale, transmise par sa famille, ses traditions, son vécu quotidien, sa réalité. L’enseignement selon moi doit prendre en compte ce « versant » de l’élève, cette richesse et cette relecture du texte pour lui permettre d’avancer, de se rassurer parfois, et surtout, de s’ouvrir à la lecture des textes littéraires. Annie Rouxel, Gérard Langlade et Marie-José Fourtanier proposent une autre notion de la lecture littéraire « qui s’intéresse à la reconfiguration du texte par le lecteur réel et présente des modes de réalisation pluriels. Il y a donc un déplacement de l’intérêt : du lecteur virtuel au lecteur réel, et, par voie de conséquence, du texte de l’œuvre au texte du lecteur »1. Ce lecteur créatif est aussi celui que nous retrouvons dans nos classes, celui qui, au contact de sa culture, devient le « sujet lecteur commun ». Ce lecteur dépasse le cadre individuel de la réception pour partager une lecture commune avec ceux qui ont le même patrimoine culturel. Le texte devient alors comme un pont culturel entre eux. Ce « sujet lecteur commun » réagit aux stimuli en rapport avec son passé et son histoire : l’interprétation qu’il fait des actions des personnages, des situations, voire du vocabulaire utilisé par l’auteur est ainsi partagée par plusieurs autres élèves lecteurs. Un échange s’établit, des non-dit culturels et historiques sont énoncés individuellement et regroupés au sein des classes. C’est seulement lorsque nous avons constaté que les observations des élèves étaient identiques à plus de soixante pour cent que nous avons élaboré cette notion de « sujet lecteur commun ». Il s’agit d’un lecteur culturel, d’un lecteur multiple en ce sens qu’il représente la réception de presque toute sa communauté. Le lecteur qui entreprend ce voyage au sein de la fiction est persuadé de vivre en réalité des événements qui le marquent. Il pleure, il rit, il se met en colère contre une situation ou contre un personnage, contre Atala, qui s’éloigne de sa culture et porte un crucifix au lieu de l’attrape-rêves, contre Chactas qui a voyagé à Paris et s’est conduit en Européen, renonçant à une partie de lui-même. Mais cette lecture de l’autre, cette lecture de soi est influencée par le patrimoine culturel des élèves, par la situation qu’ils vivent au moment de la lecture. Le lecteur entame une « lecture en ombre ». Ce que j’appelle « lecture en ombre », est le reflet de l’œuvre, cette autre lecture possible, cachée derrière l’ouvrage, lecture infidèle au texte, mais qui naît du texte, un peu comme une ombre et son objet. Le lecteur imagine, tisse un autre texte tout autour de celui de l’auteur. Nous verrons donc au cours de cette analyse, que les élèves lecteurs de divers espaces culturels ont une réception et une perception même des textes, différentes en certains points de celle des autres. C’est une sorte d’identité lectorale commune à une culture. Atala de Chateaubriand est l’œuvre retenue pour démontrer que la lecture d’une œuvre est certes plurielle car elle s’adresse à tous les lecteurs et peut être perçue de différentes manières selon le « liseur », mais aussi communautaire car elle permet à un ensemble culturel de retrouver des éléments connus. C’est un ouvrage qui en dépit de son succès au XIXème siècle, de son influence incontestable sur les œuvres qui lui ont succédé, n’est que peu ou pas étudié à l’école. Cette réflexion utilisera diverses études, de nombreux travaux d’élèves lecteurs ainsi que des documents et enquêtes, comme celle menée auprès de 379 enseignants de lettres d’outre-mer, entre 2007 et 2009. Et nous verrons, tout au long de cette thèse, que la triade définie par les théoriciens : TEXTE-AUTEUR-LECTEUR, aurait à intégrer une nouvelle instance : la COMMUNAUTE PATRIMONIALE, interagissant avec le sujet-commun.