Thèse soutenue

Les grandes lames et les lames par pression au levier du Néolithique et de l’Énéolithique en Italie

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Auteur / Autrice : Denis Guilbeau
Direction : Catherine Perlès
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Préhistoire
Date : Soutenance le 26/11/2010
Etablissement(s) : Paris 10
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Espaces, Temps, Cultures (Université Paris Nanterre)
Jury : Président / Présidente : Jean Vaquer
Examinateurs / Examinatrices : Catherine Perlès, Jean Vaquer, Didier Binder, Alessandra Manfredini, Jacques Pelegrin
Rapporteurs / Rapporteuses : Didier Binder, Jean Vaquer

Mots clés

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Mots clés contrôlés

Résumé

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En Italie, durant le Néolithique et l’Énéolithique, entre 6000 et 2000 cal. BC environ, dans les industries lithiques se distinguent des lames débitées par une technique particulière, la pression au levier, et des lames de grandes dimensions débitées par percussion indirecte. En moyenne, ces lames mesurent 18-20 cm de long lorsqu’elles sont entières. Elles représentent une composante marginale voire exceptionnelle au sein des séries lithiques. Par comparaison avec des séries expérimentales et par comparaison avec d’autres contextes archéologiques nous émettons l’hypothèse que leur production est le fait de groupes restreints de tailleurs de très haut niveau technique. Du nord au sud de l’Italie, 3 productions importantes et plusieurs productions secondaires ont été recensées. Certaines apparaissent dès le début du Néolithique et sont présentes durant plusieurs millénaires, d’autres ne durent que quelques siècles. Le silex extrait des mines du Gargano, dans le sud-est du pays, a été employé pour la réalisation de lames par pression au levier au moins dès 5800 cal. BC. Ces lames sont présentes tout au long du Néolithique et au-delà. Dès le début, leur morphologie et leurs dimensions témoignent d’un remarquable niveau technique. L’aspect des talons indique en outre l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage au moins dès 5600 cal. BC. L’hypothèse qu’il s’agisse du cuivre, très surprenante au vu de l’ancienneté des pièces concernées, ne peut pas être totalement écartée, mais demanderait des analyses complémentaires pour être confirmée. Au cours des siècles, la diffusion de ces lames s’étend progressivement à des régions de plus en plus lointaines et atteint plusieurs centaines de kilomètres. Cette diffusion s’adapte aux bouleversements démographiques que connaît la région au cours du Néolithique. Les lames sont généralement découvertes fragmentées dans les villages où elles côtoient des exemplaires de dimensions moindres réalisés par pression debout dans le même silex. Le niveau technique dont témoignent ces lames laisse supposer une valorisation des pièces les plus « spectaculaires » par leur morphologie et/ou leurs dimensions. D’ailleurs, des pièces entières sont connues dans des dépôts puis, à partir du Néolithique moyen, dans des sépultures. Toujours au Gargano, les débitages laminaires spécialisés de l’Énéolithique moyen, entre 3500 et 2500 cal. BC environ, n’ont de commun avecceux des siècles et millénaires précédents que l’emploi de la pression au levier et l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage. La presque totalité des lames dont le contexte de découverte est connu provient de sites funéraires liés à la culture Gaudo et est retouchée sous forme de poignards. Certains d’entre eux montrent les stigmates d’une utilisation intensive. Les liens entre cette culture et ces pièces semblent si forts qu’il est possible que l’intégralité de la chaîne opératoire de débitage, de l’extraction du silex jusqu’à la diffusion de ces objets, soit maîtrisée par la population liée à cette dernière. Aux côtés des poignards sur lame apparaissent également des poignards bifaciaux très majoritairement réalisés en silex du Gargano. En Italie centrale, les premières lames par pression au levier recensées sont réalisées autour de 4000 cal. BC dans un silex d’origine inconnue, puis apparaissent quelques lames débitées dans le silex de la Scaglia Rossa des Marches. Ces dernières demeurent rares, leur morphologie est assez hétérogène, et elles se distinguent souvent mal des productions plus ou moins longues débitées par percussion indirecte dans les mêmes silex. L’absence de développement important de cette production n’est pas liée à l’absence de matière première apte à de tels débitages mais correspond à l’absence de demande sociale forte pour ce genre de produits. En Italie du Nord, l’importance des grandes foliacées essentiellement en silex des Monts Lessins par rapport aux grandes lames ou aux lames par pression au levier semble remarquable. Il pourrait s’agir d’objets socialement équivalents. Cela expliquerait la rareté extrême des grandes lames et des lames par pression au levier dans cette région durant l’Énéolithique, entre 3500 et 2200 cal. BC environ, alors qu’elles sont présentes dans la plupart des régions voisines. Un seul exemplaire en silex des Monts Lessins a été recensé et ne sont connues que quelques pièces en silex de Forcalquier dont la diffusion est presque exclusivement limitée aux franges occidentales de ce pays. En Sardaigne, le développement à partir 4200-4000 cal. BC environ d’une production de lames par pression au levier en silex de Perfugas dans le nord de l’île est à peu près synchrone avec le développement de la culture Ozieri. Aucune lame n’est produite après la fin de cette culture, c'est-à-dire vers 3500 cal. BC. Ces lames sont réalisées avec un matériau plus dur que le bois de cervidé. Elles font partie des diverses productions techniques comme les céramiques et les statuettes qui sont étroitement liées à la culture Ozieri. À l’image de ces autres productions, les lames ne diffusent quasiment pas ni vers la Corse, ni vers le Continent. En Sicile, les grandes lames et les lames par pression au levier apparaissent précocement, peut-être dès l’aube du Néolithique entre 6000 et 5500 cal. BC environ et sont présentes jusqu’au début de l’Âge du Bronze, vers 2000 cal. BC. Dès le 6ème millénaire l’aspect des talons de certaines lames évoque l’utilisation d’un matériau plus dur que le bois de cervidé dans le débitage. Le silex dans lequel elles sont réalisées est extrait au moins en partie de mines dans les Monts Hybléens, dans le sud-est de l’île. Ces structures ne sont pas datées. L’existence d’un second centre de production dans l’ouest de la Sicile est hautement probable. La seule évolution nettement perceptible dans cette production est le développement du dépôt de ces lames dans les sites funéraires à partir de la fin du Néolithique. La permanence remarquable de ces débitages peut être mise en parallèle avec d’autres aspects culturels de cette région qui montrent également un fort conservatisme. L’absence d’indices nets qui pourraient suggérer un développement local et l’analogie entre les techniques de débitage des différentes productions recensées permettent de proposer un modèle de développement des ateliers qui implique le déplacement de tailleurs spécialisés selon plusieurs scénarios possibles. Ces tailleurs provenant d’un lieu encore indéterminé (nord de la Grèce/Albanie ou Anatolie ?) sont parvenus dans le Gargano et peut-être en Sicile dès le début du Néolithique. Durant le Néolithique moyen, nous supposons qu’une partie des artisans du Gargano sont parvenus en Italie centrale et dans le nord de la Sardaigne. À la fin du Néolithique, il est possible que les tailleurs de lames de Perfugas en Sardaigne soient partis définitivement vers le sud de la France, à Forcalquier. Paradoxalement, malgré des liens techniques indéniables, les aires de diffusion des différentes productions sont le plus souvent exclusives les unes des autres. Une analyse de la morphologie, de l’utilisation et de la gestion des lames de chaque atelier permet de constater qu’il existe en fait des différences majeures au niveau de ces critères. Le plus souvent, les lames par pression au levier et les grandes lames n’ont en commun que l’origine des tailleurs et le fait qu’il s’agit de productions fortement valorisées. Dans certaines régions où elles sont très rares ou absentes, nous émettons l’hypothèse que ce rôle est tenu par d’autres bien fortement valorisés comme les grandes haches en roche alpine. En Italie, les lames par pression au levier et les grandes lames sont donc des productions homogènes sur le plan technique, mais très hétérogènes sur le plan culturel et leur signification sur le plan social doit être relativisée vis-à-vis des autres productions socialement valorisées des cultures concernées. Mots clés Italie, Néolithique, Énéolithique, technologie lithique, silex, grandes lames, pression au levier, poignards, spécialisation, connaissances et savoir-faire, diffusion, biens fortement valorisés.