Approche psychopathologique et psychométrique longitudinale d'une population victime d'un tremblement de terre
Auteur / Autrice : | Malima Afrasiab |
Direction : | Antoine Pelissolo |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Neurosciences |
Date : | Soutenance en 2009 |
Etablissement(s) : | Paris 6 |
Résumé
I- INTRODUCTION. Ce travail porte sur les conséquences psychiques et psychosomatiques de l’exposition à un tremblement de terre, au sein d’une population victime d’un séisme en Iran. Le projet a comporté un volet descriptif et transversal portant sur un groupe de 105 patients évalués au cours de la première année après le séisme (« Plaintes psychologiques et somatiques chez les survivants de tremblement de terre à Bam »), un volet prospectif reposant sur deux évaluations successives lors des deux années suivantes -« Valeur prédictive des plaintes physiques post- ou peritraumatiques sur la persistance ou l’apparition ultérieure d’un état de stress post-traumatique (ESPT) »), et un volet psychométrique consistant en la validation d’une échelle de symptomatologie de stress post-traumatique en persan (« Validation de l’échelle PCLS en persan »). II- PLAINTES PSYCHOLOGIQUES ET SOMATIQUES CHEZ LES SURVIVANTS D’UN TREMBLEMENT DE TERRE A BAM. Cette étude a examiné la détresse psychologique et les plaintes somatiques parmi 105 survivants d’un tremblement de terre. Trente hommes et 75 femmes, tous exposés et consultant dans un centre de soin primaire, ont été interrogés et examinés en deux fois 7 ou 14 mois après le séisme. Plus de 80 % des sujets ont développé un ESPT. Les symptômes de dépression et l'anxiété étaient toujours élevés 14 mois après le séisme. Les analyses ont révélé que la présence de symptômes d'hyperactivité neurovégétative d’ESPT sévère prédisait des niveaux élevés de plaintes somatiques. L'âge (p=0,002), le score d’impulsivite�� (p=0,037) et la perte d'un membre familial de premier degré (p=0,047) sont les autres facteurs prédictifs des plaintes somatiques. Ces résultats permettent d’insister sur la nécessité d’explorer les symptômes psycho-traumatiques chez des patients consultant pour des plaintes somatiques. III- VALEUR PREDICTIVE DES PLAINTES PHYSIQUES POST- OU PERI-TRAUMATIQUES POUR LA PERSISTANCE OU L’APPARITION ULTERIEURE D’UN ETAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE. Dans cette seconde étude, nous avons examiné la valeur prédictive des plaintes psychosomatiques initiales après le tremblement de terre pour la survenue ultérieure de troubles psychiatriques, et en particulier l'état de stress post-traumatique (ESPT). Il faut signaler que, du fait de l’absence de structures locales de soins adaptées, les patients suivis dans cette étude n’ont pas bénéficié de soins psychiatriques spécifiques durant le suivi. Un groupe de 84 sujets (issu du groupe de 105 sujets inclus dans la première étude) présents à l'épicentre du tremblement de terre de Bam a été ré-évalué 1 an puis 2 ans après la première évaluation, à l’aide de la version persane du Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), de la PTSD-Interview Impact of Event Scale-revised (IES-R), de l’échelle PTSD Checklist, d’une Clinical Global Impression (CGI) pour les plaintes somatiques, et les échelles de Covi et de Raskin. Le résultat principal de cette étude prospective est que la probabilité de présenter un ESPT trois ans après l'événement est 8 fois plus élevée chez les sujets. Ayant souffert de symptômes psychosomatiques dans l’année suivant le séisme. Les douleurs psychosomatiques ont aussi une valeur prédictive pour la dépression, la toxicomanie et le trouble anxieux généralisé. La fréquence de l’ESPT a diminué significativement dans le temps, mais elle est restée élevée (24 %) trois ans après le tremblement de terre. Les plaintes psychosomatiques après une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre semblent donc de bons indicateurs de complications post-traumatiques chroniques. IV- VALIDATION DE L’ECHELLE PCLS EN PERSAN. Le but de cette étude était de valider la version persane de l'échelle «Post traumatic Checklist Scale » (PCLS), questionnaire de 17 items, cotés de 1 à 5, développé par Blanchard et al. (1996) et largement utilisé dans la recherche sur l’ESPT. Cette échelle a été traduite en persan par deux psychologues bilingues. Pour s’assurer de la bonne traduction de cette échelle, nous avons vérifié sa rétro-traduction du persan à l’anglais par un traducteur professionnel indépendant. Dans une phase préliminaire, vingt-trois sujets bilingues de la population générale ont rempli les deux versions de la PCLS, avec un intervalle de 10 jours et un ordre inversé pour la moitié des sujets. De très bons coefficients de corrélation ont été obtenus entre ces deux versions, situés entre 0,94 et 0,96 pour le score total et les trois sous-scores. La partie principale de l’étude de validation porte sur un échantillon de 148 sujets de la population générale iranienne, qui ont rempli la version persane de la PCLS, à deux reprises à environ 10 jours d’intervalle. Leurs scores ont été comparés à ceux des 84 patients exposés au tremblement de terre évalués pour l’étude prospective présentée ci-dessus. Les scores de la PCLS des 84 patients ont été aussi corrélés aux résultats des questionnaires mesurant la dépression, l'anxiété et les plaintes psychosomatiques. Le score total des patients et les sous scores sur la PCLS ont été trouvés significativement plus élevés que ceux des sujets contrôles. Dans la population iranienne, le seuil de 54 distingue le groupe ESPT du groupe témoin avec une bonne spécificité diagnostique. L’analyse factorielle a révélé 3 facteurs correspondant à la reviviscence, l’évitement et l’hyper-activité neurovégétative. Nous avons donc trouvé des propriétés psychométriques très satisfaisantes pour la version persane PCLS, comparables à celles des autres versions. Par ailleurs, cette étude nous a permis de faire des comparaisons internationales montrant que la population témoin persane présente des scores moyens plus élevés à l’échelle PCLS que des populations françaises et nord-américaines. En revanche, l’intensité moyenne de l’ESPT chez les patients souffrant de ce trouble ne diffère pas selon les différentes cultures. V- CONCLUSION. Nous avons pu montrer dans cette étude que les troubles psychiatriques après un tremblement de terre dévastateur sont chroniques, bien que leur prévalence et leur intensité puissent diminuer dans le temps. De plus, un nombre important de survivants après l'événement traumatique présente des plaintes psychosomatiques, et notamment des plaintes douloureuses. Ces plaintes sont des prédictifs importants du diagnostic et du pronostic de l’ESPT, ainsi que d'autres troubles psychiatriques, jusqu'à trois ans après le tremblement de terre. Il s’avère donc important pour les cliniciens d’identifier ces plaintes psychosomatiques pour limiter les risques de chronicisation des troubles.