Thèse soutenue

L' imaginaire de la ville dans la poésie moderne : 1857-1918

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Auteur / Autrice : Emmanuel Flory
Direction : Pascale Auraix-Jonchière
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Littérature française
Date : Soutenance en 2009
Etablissement(s) : Clermont-Ferrand 2

Résumé

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La publication des deux recueils de Baudelaire, ''Les Fleurs du mal'', 1857, et ''Le Spleen de Paris'', 1869, marque la naissance de la poésie moderne mais aussi de la poésie de la modernité : les poètes portent alors un intérêt particulier au monde contemporain et particulièrement à l'univers urbain. La grande ville, jusqu'à la fin des années 1910, exerce sur les créateurs une étrange fascination et c'est en puisant dans l'imaginaire des mythes que les écrivains vont trouver une manière privilégiée de célébrer la cité. Baudelaire ouvre la voie à une multiciplicité de poètes qui sont tentés de plier les contours de la ville à leurs fantasmagories. Sacralisée, la ville s'affranchit des limites trop étroites du monde référentiel pour se présenter comme terre d'élection de tout un panthéon mythologique. Or la modernité met cet imaginaire à l'épreuve : toute tentative héroïque pour soumettre la cité aux pulsions démiurgiques des poètes se solde par un échec. Dès lors, ce ne sont plus des images paradisiaques qui sont convoquées pour évoquer les capitales, mais un ensemble de mythes tragiques contribuant à renvoyer de la cité une image de plus en plus sombre. Des mirages urbains, Baudelaire, Verlaine, Apollinaire reviennent désillusionnés. Rimbaud ne fait que prolonger, au sein de la cité, sa traversée de la vallée de larmes, au même titre que Cendrars, condamné à un nouveau chemin de croix dans ''Les Pâques à New York''. Si Laforgue et Corbière préfèrent la dérision à l'accablement vengeur, leur constat n'en est pas moins défaitiste. Tous les poètes semblent se rejoindre pour condamner la ville et son pouvoir mortifère, à l'exception peut-être de Marinetti et de Mérat, dont l'expérience sensuelle de la ville orientale demeure plus positive. La force du cosmos s'impose donc aux pulsions de l'anthropos. Etre de la déréliction, le poète crée un imaginaire morbide qui se caractérise par un lyrisme de crise : la présence du sujet s'efface à mesure que la ville s'impose dans sa matérialité. Mais le triomphe du réel ne correspond en rien à une mise à mort de la poésie ; il permet l'exploration d'autres voies esthétiques, autorisant de nouvelles thématiques à nourir l'écriture de la modernité. Tentant de réaliser le rêve horatien de l'ut pictura poesis, la poésie donne à voir les realia de la vie parisienne, jusqu'alors partiellement proscrites par les ''mages'' et les ''voyants''. Les recueils de Mérat, Goudeau, Coppée, Calmès ou Marc consacrent ainsi ce que Mallarmé nomme ''le bel aujourd'hui''. Les métamorphoses de la poésie semblent en grande partie dictées par les métamorphoses de la ville qui, sous l'influence de l'haussmannisation de Paris, ne cesse de changer d'apparence. Aussi le travail du poète se rapproche-t-il de celui de l 'alchimiste, chargé de transformer la boue urbaine en or littéraire, et c'est finalement dans l'élaboration du langage poétique que se rejoignent l'homme et le monde. Renvoyée à ses paradoxes et à ses contradictions, la modernité se révèle incapable de couper tous les ponts avec la tradition : à cause de l'esprit de système qui lui est inhérent, elle finit par transformer l'inédit en poncif. C'est ainsi que naissent différents types urbains : conquérants, exclus, observateurs et idéologues prennent la place laissée vacante par une mythologie classique moribonde. Parallèlement, l'image des nouvelles mégalopoles vient modifier la structure du tissu poétique, qui se libère d'une pratique traditionnelle de la versification, inconciliable avec ''le chaos des grandes cités''. La ville invite le poème à se risquer sur la voie de la prose, à se faire prosaïque pour exhiber la vérité de l'homme comme celle de la cité. Ainsi la poésie gravit-elle les échellons de la modernité en repoussant sans cesse les limites du poème, ouvert à d'autres formes littéraires, journalisme ou essai. Emprunter le chemin de la poésie urbaine revient donc à rejoindre le cours plus ample de l'histoire de la poésie tout entière. La ville n'est en rien un thème anecdotique, c'est une réalité, une force d'attraction mais aussi une source de confrontation avec la poésie qui l'oblige à aller vers de nouveaux territoires et de nouvelles formes