La monnaie impossible : la convertibilité argentine de 1991
Auteur / Autrice : | Alexandre Roig |
Direction : | Christian Coméliau |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Socio-économie du développement |
Date : | Soutenance en 2007 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Résumé
Cette thèse s’interroge sur « l’impossibilité » de prendre la décision de sortir du régime monétaire de la convertibilité, instauré en 1991 en Argentine, et qui pourtant s’achèvera dans une crise généralisée en 2002. Ce travail donne une importance particulière aux moments constitutifs de cette monnaie, analysés par un travail qualitatif sur la base d’observations, d’entretiens en profondeur et d’analyses de documents. En reconstruisant le processus par lequel a été « créé» la convertibilité, il nous est apparu que les logiques monétaires étaient étroitement liées aux rapports complexes qui s’établissent entre le savoir économique et les pouvoirs politiques et économiques. Nous avons donc reconstruit, dans une perspective généalogique, les règles qui régissent la production et la diffusion du savoir dans leurs liens étroits aux logiques des pouvoirs politiques et économiques. Nous avons ainsi caractérisé ce que nous avons appelé un « régime de savoir autorisé » en distinguant trois grandes période. La première est liée à l’institutionnalisation du « savoir économique » au début du XXe siècle, par lequel se constitue les règles académiques de production d’un savoir autorisé sur l’économie. Avec la création de la Banque Centrale en 1935, une deuxième période s’instaure durant laquelle le savoir autorisé se développe en lien étroit avec l’expertise publique dans les organismes de l’Etat. Dans les années 60, avec la constitution de l’inflation comme nouvelle problématique économique et politique, une troisième période s’initie. Ceux qui parlent au nom de l’intérêt général ne se situent plus uniquement dans les sphères publiques, mais également dans les organisations privées de recherche qui vont devenir les nouveaux espaces d’autorisation du savoir, instaurant ainsi des logiques contradictoires de relations entre savoir, intérêts privés et publics. Par ce processus, seul un discours qui suit les règles du régime d’autorisation peut se prononcer sur la monnaie. Dans le cas de la convertibilité, nous avons démontré que ce discours n’est pas uniquement un discours sur la monnaie, mais du fait du processus de création, c’est un discours dans la monnaie. Les règles monétaires et les logiques discursives trouvent ici leur point de convergence. Le projet de la convertibilité suivait ainsi les préceptes de la théorie économique dominante, en particulier celle des anticipations rationnelles, et prévoyait une monnaie « éternelle » dans son rapport fixe un à un par rapport au dollar. Elle était sensée dégager de ce fait toute incertitude sur la valeur future de sa monnaie. Suivant les analyses historiographiques dominantes, la condition de cette « éternité » résidait, par ailleurs, dans l’élimination de la possibilité d’agir politiquement sur la monnaie. C’est dans ce sens que l’analyse des discussions parlementaires sur l’adoption de cette forme monétaire, votée comme loi, nous révèle des logiques sacrificielles, qui mettent « hors d’atteinte » politique la monnaie qui, de ce fait, va être placée en position de souveraineté : elle va agir, suivant ses propres règles, comme une force impersonnelle. Cette condition de monnaie intouchable est à la fois élément de la « foi sociale » dans son « éternité » et cause de sa crise, puisqu’il est impossible d’agir sur elle en cas de besoin. Sur la base des expressions publiques des dirigeants, ainsi que la position des différents organes de presse dans les moments où la convertibilité fut remise en question, nous avons interprété les formes de la confiance dans ce sens. La confiance dans la monnaie n’est pas uniquement assurée par la confiance dans les autorités politiques (confiance hiérarchique). La confiance dans la monnaie se fonde essentiellement sur l’actualisation de la « tragédie », du retour de l’hyperinflation et sur l’affirmation généralisée de la supériorité de la valeur de la « stabilité » (confiance éthique). Cette thèse propose ainsi de prolonger les apports de la théorie institutionnaliste sur la monnaie initiée dans la monnaie souveraine, en ayant recours à la perspective bataillenne de l’économie générale, qui permet une analyse hétérologique du phénomène monétaire.