Consultations oraculaires en Grèce et documentation épigraphique : le cas de l'oracle de Delphes : Contribution à l’étude d’une pratique religieuse
Auteur / Autrice : | François Martel |
Direction : | Georges Rougemont |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Langues, histoire et civilisations des mondes anciens |
Date : | Soutenance en 2006 |
Etablissement(s) : | Lyon 2 |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Cette recherche s’intéresse aux documents épigraphiques se référant à des consultations d’oracles dans la Grèce antique. Ces témoignages peuvent être directs, comme dans le cas des lamelles de Dodone, et porter le texte authentique des questions posées par les consultants et éventuellement des réponses de l’oracle. Il peut s’agir également de témoignages indirects, reproduisant de façon plus ou moins littérale la question et/ou la réponse, ou y faisant simplement allusion, en indiquant la teneur de la consultation : décrets, règlements ou dédicaces, par exemple. La plupart de ces documents ont été publiés de façon éparpillée, parfois dans des revues d’accès difficile. Dans le cas de Delphes, il existe certes des recueils d’oracles, mais ils s’intéressent plus aux réponses qu’aux questions, tout en intégrant à la fois les données littéraires et épigraphiques, la publication de ces dernières étant généralement assez sommaire. Sont donc dans un premier volume rassemblées, éditées, traduites et commentées toutes les données strictement épigraphiques relatives aux consultations delphiques, classées d’une manière qui rende leur exploitation commode. Nous avons choisi d’organiser ces textes en fonction de leur provenance géographique. Le corpus des inscriptions se rapportant à une consultation de l’oracle de Delphes est suivi de plusieurs annexes dans lesquelles figurent les références et un bref aperçu des inscriptions relatives à des consultations d’autres oracles grecs : Didymes, Claros, Dodone, ainsi que d’autres sanctuaires «mineurs». Ces annexes reprennent également les textes épigraphiques susceptibles de donner des indications sur le fonctionnement des oracles. Dans un deuxième volume, nous nous efforçons d’analyser les données livrées par les inscriptions. Celles-ci ne fournissent que de maigres indications quant au fonctionnement de l’oracle de Delphes. La confrontation avec les textes littéraires d’une part et les informations relatives aux autres sanctuaires d’autre part permet rarement d’acquérir des certitudes. Sont successivement examinés les sujets suivants : le personnel de l’oracle – quels sont les différents acteurs et quels sont leurs rôles respectifs ; le déroulement des consultations - où se déroulent-elles, quelle en est la fréquence, comment sont-elles organisées, en quoi consistent les préliminaires ; le processus oraculaire – comment les questions sont-elles transmises, quelles sont les relations entre les consultants et la Pythie, quelles techniques de divination celle-ci met-elle en œuvre, comment et sous quelle forme les réponses parviennent-elles aux consultants, dans quels cas et pourquoi ces dernières sont-elles gravées. . . En revanche, l’épigraphie permet de se faire une idée assez précise de la clientèle de l’oracle. Même si les documents relatifs à Delphes concernent principalement des consultations «publiques», l’ensemble de la documentation fait apparaître la grande diversité d’origine aussi bien géographique que «sociale» des consultants. Quant aux sujets abordés lors des consultations, les documents livrent aussi des indications intéressantes. Lors des consultations «publiques», les principaux thèmes abordés sont les suivants : fléau naturel ou menace humaine ; colonies ; vie publique ; asylie, liée généralement à l’instauration de concours ou de fêtes ; questions religieuses. . . A titre «privé», on consulte sur des sujets très variés : santé ; couple, famille et descendance ; situation et initiative personnelles (déménagement, profession, affaires, associations) ; conflits, vols ou meurtres. . . L’étude détaillée du formulaire des questions, mais aussi de la forme sous laquelle sont délivrées les réponses, permet de comprendre ce qui était la plupart du temps demandé à l’oracle et ce que le consultant en attendait et en obtenait. La confrontation entre les données relatives à Dodone – documents de «première main» -, aux autres sanctuaires oraculaires et à Delphes permet de mettre en évidence un certain nombre de caractéristiques communes. On peut ainsi discerner – au-delà de la relative diversité des formes - deux grands types de formulation des questions. Les questions de type «fermé» consistent soit à soumettre une proposition à l’approbation du dieu, soit à lui proposer une alternative : deux – rarement plus- possibilités sont offertes, entre lesquelles la divinité doit choisir. Les questions de type «ouvert » visent à obtenir l’information suivante : que faut-il faire (dans telles ou telles circonstances, pour obtenir tel ou tel résultat) ? Cette deuxième catégorie de questions revient en fait la plupart du temps à s’enquérir de l’identité de la divinité qu’il convient d’honorer, et de la forme que doit prendre cet hommage. Ce constat permet de discerner les consultations «typiques» et les consultations «atypiques». Ces dernières, fort rares dans la documentation épigraphique, se signalent par des questions très ouvertes (où, qui, comment. . . ) qui laissent une très grande marge d’initiative à la divinité oraculaire. Les réponses «atypiques» - qu’elles soient formulées en prose ou en vers - présentent deux caractéristiques majeures : elles se présentent comme des prédictions ou des avertissements et/ou elles comportent des noms de personnes (en dehors des divinités) et de lieux qui n’ont pas été mentionnés par le consultant. Ces caractéristiques des questions et des réponses se rencontrent dans les consultations légendaires. Il est ainsi possible de comprendre ce que les consultants attendent des oracles. Ils ne veulent pas que la divinité dévoile leur avenir, mais cherchent plutôt un conseil : telle ou telle décision est-elle bonne (ou préférable à telle autre) ? comment dois-je m’y prendre pour atteindre mon objectif ou sortir de mes difficultés ? Les réponses obtenues correspondent à ces attentes : validation d’un projet, aide au choix, prescriptions religieuses. . . La consultation oraculaire trouve sa spécificité dans cette ébauche de dialogue qui s’instaure entre le consultant et la divinité, qu’on ne retrouve pas dans les sanctuaires «médicaux », où la communication passe par le songe. Elle se distingue également des pratiques magiques, par l’entremise desquelles on s’efforce de contraindre une puissance occulte à agir pour son compte. La confrontation des documents épigraphiques et des données littéraires permet d’aboutir aux conclusions suivantes. Lorsque les oracles transmis par l’épigraphie ont été gravés longtemps après avoir été rendus, ils présentent les mêmes caractéristiques «atypiques» que la plupart des témoignages littéraires, ayant été fixés par l’écriture au terme d’un long processus de transmission orale. A l’inverse, lorsque la gravure est contemporaine de la consultation, on peut tenir pour assuré que le texte des questions et des réponses apparaissant dans les inscriptions est, sinon textuellement fidèle à l’original, du moins très proche des paroles effectivement prononcées. Après examen, rien n’autorise à penser que les oracles aient joué un rôle politique direct : de telles prises de position échappent en effet à leurs prérogatives, qui sont par essence religieuses. Dans le domaine politique comme dans les autres, les consultants ne demandent pas à l’oracle de décider à leur place ni de leur dicter la conduite à tenir. Pour conclure, l’étude du formulaire dans les documents épigraphiques et le recensement des sujets abordés montrent que la pratique des oracles laisse une place à la liberté et à la raison humaine.