Thèse soutenue

Proust historien : Le temps historique dans la Recherche

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Auteur / Autrice : Yuko Hauptmann-Katsuyama
Direction : Jean-Pierre Martin
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Lettres modernes
Date : Soutenance en 2006
Etablissement(s) : Lyon 2

Résumé

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Si, dans ''À la recherche du temps perdu'', la grand-mère initie le narrateur à aimer ce qui est ancien, ainsi que l’art et la nature, c’est que Proust s’intéresse à l’histoire tout comme de nombreux écrivains du XIXe siècle. Sa prédilection est destinée en particulier au Moyen Âge et à l’Ancien Régime. Par ailleurs, l’histoire chez Proust est liée à la géographie comme chez le Michelet du Tableau de la France. Ainsi, les images renvoyant à ces deux époques servent à constituer trois paradis perdus proustiens, Combray, Doncières et Venise. Au sujet de Combray et de Doncières, on peut noter une vision nostalgique chez Proust vis-à-vis des communautés d’autrefois, semblables à la commune médiévale où la collectivité est respectée. En particulier Combray, qui se présente comme une société idéale dans laquelle la vie collective est intégrée dans le temps cyclique de la nature, comme celle d’une société primitive. Le rapport avec le passé, la nature et la collectivité constituent le paradis perdu chez Proust, la recherche de l’origine est doublée par celle des temps primitifs. Quant à la Venise proustienne, à première vue, elle constitue un espace où le passé et le présent s’entrecroisent, tout en prenant une dimension à la fois historique et artistique. Tandis que Doncières est liée à l’Ancien Régime et à la jeunesse du narrateur, la Venise proustienne se rapporte à l’âge d’or, ou, plutôt à la fin de l’âge d’or, puisque, au sein de la ville italienne vouée à disparaître dans l’eau, le narrateur se forme l’idée du vieillissement et de la mort. Par ailleurs, Venise est liée à Combray à travers le nom de Saint Louis : tandis que la flèche de l’église du village conserve la mémoire du départ du roi (pour les Croisades), un doge vénitien offre à celui-ci des reliques lors d’une croisade. En outre, dans l’imagination de Proust, traducteur de Ruskin, Venise est liée à Amiens, la ville française nommée par ce dernier « Venise du nord » et qui nous semble l’un des modèles de Balbec. Venise constitue donc un entrecroisement à la fois temporel et spatial, dans l’imaginaire proustien. L’entrecroisement du passé et du présent est symbolisé par le thème des ruines discrètement introduit dans le roman proustien, on comprend ainsi l’une des raisons pour lesquelles Proust est fasciné par l’œuvre d’Hubert Robert, peintre « ruiniste » du Siècle des Lumières. Nous concluons la première partie en notant que, dans ces trois villes paradisiaques, le temps historique s’arrête comme dans les ruines réintégrées dans la nature chez le peintre. Proust s’intéresse également à l’histoire contemporaine, ce qui amène des chercheurs à entreprendre une étude socio-historique. Le romancier oppose ces trois ville appartenant au passé, à Paris et à Balbec, qui se montrent des villes modernes (pourtant, elles sont aussi en réalité marquées de traces du passé). Dans ces deux villes, à la différence des trois autres, le temps historique est en mouvement. Il décrit le paysage urbain modifié par le progrès industriel (cela apporte le thème des ruines de Paris chez Proust, comme chez Hugo), ici, on peut remarquer une affinité avec Baudelaire dans l’élaboration de l’esthétique de la modernité ou de l’âge de fer. Proust décrit aussi le changement des mentalités de son temps, celle du peuple, celle des bourgeois ou celle des aristocrates, en particulier à travers deux grands événements historiques, l’affaire Dreyfus et la Grande Guerre. Nous ne nions pas que le récit mondain du roman proustien est inspiré par la réalité historique : la victoire de la bourgeoisie sur l’aristocratie. Notre étude nous conduit à affirmer que la vision de Proust est différente de celle que l’historien de l’époque conçoit : le mouvement de l’histoire ne prend pas la forme linéaire, mais l’histoire prend un même mouvement à plusieurs reprises.