Thèse de doctorat en Langues et littératures anciennes. Latin
Sous la direction de Michèle Fruyt.
Soutenue en 2005
à Paris 4 .
Le supplétisme, processus universel dans l'évolution des langues, concerne peu de verbes en latin mais ceux-ci sont particulièrement fréquents. Les sujets parlants opèrent une extension de certaines formes, qui préexistaient dans un paradigme verbal donné, et leur confèrent une nouvelle fonction : elles entrent dans un autre paradigme verbal, soit pour remplacer certains formes défectueuses, dont les défauts gênaient le caractère opérationnel et fonctionnel, soit pour remplir des positions restées inoccupées dans le second paradigme. Le but de la communauté linguistique est d'avoir à sa disposition un paradigme verbal complet, où toutes les formes soient opérationnelles et capables de remplir leur fonction. Le remplacement peut concerner en latin un thème dans son ensemble – un thème d'infectum ou de perfectum -, ou bien seulement un temps – très souvent le présent de l'indicatif -, ou un mode - généralement l'impératif et le participe -, ou seulement une forme personnelle précise – le plus souvent les première et deuxième personnes du singulier. Le phénomène est bien illustré en latin par les lexèmes “aller” (īre, uādere, ambulāre, etc. ), “porter” (ferre, portāre, tollere, etc. ), “guérir” (medērī, sānāre, cūrāre, medicāre/-ī) et “manger” (ēsse, comedere, mandūcāre, etc. ). Nous proposons une progression en quatre phases. A côté de l'ancien verbe non marqué et usuel, apparaît une variante marquée, sémantiquement plus spécifique et plus “forte”, qui tend à se généraliser dans l'usage de la langue jusqu'à ce qu'elle soit véritablement grammaticalisée à l'intérieur du paradigme. A ce stade final, quand le supplétisme est acquis, on observe une inversion de fréquence entre l'ancienne et la nouvelle forme (la forme installée par supplétisme, devenant la forme orthonymique, a la plus haute fréquence, tandis que la forme plus ancienne, qui n'est plus orthonymique désormais, n'a plus qu'une fréquence inférieure) et une inversion pour ce qui est du caractère marqué ou non marqué (la forme antérieurement marquée devient non marquée et la forme antérieurement non marquée devient marquée ).
Verbal suppletion in latin
Suppletion, a universal process in linguistic evolution, concerns a few Latin verbs with a very high frequency. The speakers extend some pre-existing forms from an existing paradigm to a new function : they enter another verbal paradigm, either as a replacement for some forms which have strong defects that impede them from being fully functional, or in order to fulfill positions which have been left unoccupied. The aim of the speakers is to have at their disposal a complete verbal paradigm, where each form is able to be fully functional. The replacement in Latin may concern a whole stem (either an infectum or a perfectum stem), or only a tense (often the present indicative) or a mood (mainly the imperative and the participle), or just one personal form (often the 1st and 2nd person sg. ). The development of the phenomenon, clearly illustrated in Latin by the various verbs meaning “go” (īre, uādere, ambulāre, etc. ), “bear, carry” (ferre, portāre, tollere, etc. ), “cure” (medērī, sānāre, cūrāre, medicāre/-ī) and “eat” (ēsse, comedere, mandūcāre, etc. ), can be analysed in four phases. Next to the old, unmarked and most common verb, appears a marked variant, semantically more specific and stronger, which tends then to be generalised until it is fully grammaticalized inside the paradigm. At that final point, there is an inversion of frequency between the old and the new form (the new suppletive form, becoming the “normal” form, is found with the highest frequency, while the old form, which is not the “normal” form any more, has a lower frequency), and, by another inversion, the previously marked form becomes unmarked and the previously unmarked form becomes a marked one.
Cette thèse a donné lieu à une publication en 2016 par Brepols publishers à Turnhout
Genèse du supplétisme verbal : du latin aux langues romanes