Vers une nouvelle politique criminelle en matière de lutte contre la toxicomanie des mineurs : analyse comparative franco-canadienne : essai d'une théorie de la légalisation contrôlée
Auteur / Autrice : | Sylvain Georgin |
Direction : | Franck Arpin-Gonnet |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Droit |
Date : | Soutenance en 2004 |
Etablissement(s) : | Paris 8 |
Mots clés
Résumé
Depuis plus d'une dizaine d'années, les différents législateurs sont confrontés à une augmentation du nombre de mineurs délinquants au sein de leurs Etats. L'un des aspects de cette délinquance est la toxicomanie. La question préoccupe d'autant plus les juristes nationaux qu'elle dépasse le cadre du simple droit. Non seulement la consommation de drogues est un facteur de trouble à l'ordre public, mais de plus, elle constitue un véritable risque sanitaire et social. C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics se sont lancés, principalement depuis le début des années soixante-dix, dans une véritable répression de l'usage de drogues. Des modèles prohibitionnistes se sont ainsi mis en place, la France et le Canada n'échappent à la règle. Il est intéressant de constater comment canadiens et français ont appréhendé le problème, et s‘il est vrai que l'esprit de la politique criminelle canadienne (fond), est le même que celui de la France, la mise en œuvre de la lutte (forme) diffère de façon remarquable. Il faut dire que plusieurs éléments facilitent la comparaison entre la France et le Canada. D'une part, les deux Etats sont aujourd'hui confrontés aux mêmes réalités : l'augmentation conjointe du nombre de mineurs délinquants et toxicomanes. Et, face à ce constat, le modèle protecteur du droit pénal des jeunes délinquants français s'oppose totalement au modèle répressif du droit canadien. D'autre part, la France et le Canada, ont, jusqu'à maintenant encore, dissociés la lutte contre l'usage de stupéfiants de celle relative aux adolescents criminels. C'est ainsi que les deux codificateurs font face à une lacune majeure de leurs droits respectifs : l'absence de textes expressément applicables aux mineurs consommateurs de drogues. La lutte contre la toxicomanie des jeunes impose donc, au préalable, de combler le vide juridique en la matière, avec un triple objectif. Le premier, est, bien entendu, de lutter contre la consommation même de drogues par des adolescents. Le second, consiste à diminuer de façon significative la délinquance liée à l'usage et au trafic, et, de manière plus générale, la criminalité. Le dernier enfin, propose de mettre fin à l'échec de la politique actuelle de lutte, fondée sur la prohibition totale de la consommation de drogues, de quelques natures qu'elles soient. La prohibition est en effet le fondement de la politique criminelle en matière de drogues. L'idée étant avant tout de préserver les mineurs et de garantir la sécurité sanitaire des populations. C'est ainsi que l'ensemble des stupéfiants recensé a été répertorié au sein d'une classification, qui, paradoxalement, peut servir de point de départ à une réforme des politiques criminelles actuellement en vigueur au sein des Etats. Il faut dire que la prohibition, tend de plus en plus à être remise en cause par différentes doctrines libertaires, parmi lesquelles on compte la légalisation contrôlée. Il convient de préciser que ce principe, totalement révolutionnaire pour la France et le Canada, s'inscrit dans une dynamique globale. Plusieurs Etats qu'ils soient américains ou européens n'ont pas hésité à franchir le pas de la libéralisation, certes avec plus ou moins de réussite, mais toujours avec l'objectif commun d'effacer l'échec de la prohibition, et de combattre plus efficacement la toxicomanie. La légalisation contrôlée consiste donc, à l'image de ce qui se fait pour les drogues licites (alcool et tabac), à légaliser, c'est-à-dire autoriser les consommations, productions et ventes, dans certaines limites cependant. C'est précisément à ce niveau que la classification des stupéfiants intervient. Elle permet de déterminer quelles substances sont susceptibles de faire l'objet d'une légalisation contrôlée ou non. Il convient de rappeler que la population dont il s'agit est jeune et fragile, et qu'en la matière, la plus grande prudence s'impose. En substance, seul le cannabis ainsi que certains autres produits très marginaux pourraient faire l'objet d'une autorisation. Le système est finalement très simple et largement inspiré de ce qui se pratique déjà en Hollande. Les mineurs désirant consommer des drogues, devraient s'inscrire au sein d'un ''coffee shop pour mineurs''. Seul cet établissement serait en droit de fournir au jeune une quantité maximum prédéfinie de produit, toutes consommations et ventes allant au-delà étant interdites. Un ''carnet d'usage'' permettant d'assurer un suivi de l'usage serait alors remis à l'adolescent, ce dernier étant dans l'incapacité de consommer en cas de non-présentation. Bien évidemment, le monopole de la vente des substances légalisées reviendrait à ces ''coffee shops'' dédiés aux jeunes. L'avantage d'un tel système est double, d'une part, parce qu'il permet d'exercer un contrôle jusqu'ici inexistant sur la consommation des mineurs. D'autre part, les adolescents auraient la garantie d'user de substances moins trafiquées, dans des conditions d'hygiène et sanitaire optimales. L'usage, s'il est permis, doit donc être opéré dans un cadre strictement délimité et réglementé. Les risques de dérapage restent cependant importants, telle la tentation de s'orienter vers des réseaux parallèles illégaux de distribution ou la consommation de substances au-delà de ce qui est autorisé. L'incrimination d'usage abusif est ainsi l'expression pénale du non-respect des règles avec un triple objectif. D'abord, il s'agit de lutter plus fortement encore contre les trafics parallèles. Ensuite, l'idée est de combattre les consommations excessives. Enfin, l'intérêt est de mettre en place un corps de règle adapté à la violation des dispositions issues de la légalisation contrôlée. L'incrimination se doit néanmoins de se conformer à plusieurs principes directeurs du droit pénal des mineurs. Le caractère dérogatoire du droit des mineurs, les principes de privilège de juridiction, de proportionnalité sont autant d'aspects que l'incrimination se doit d'intégrer. C'est précisément l'un des avantages de la légalisation contrôlée. Non seulement elle permet un meilleur suivi de la toxicomanie des jeunes, mais de plus, elle contribue à la création d'un véritable droit des mineurs toxicomanes. Aussi, si les débordements liés à la légalisation contrôlée doivent avoir une expression pénale, il convient de ne pas négliger la question ô combien primordiale de la prévention. Il faut cependant préciser que le système tel qu'il est envisagé impose une réforme des programmes actuellement en vigueur. En effet, alors que la prévention était jusqu'alors envisagée sous un angle répressif, ce dernier, sans toutefois être totalement occulté, doit céder le pas à un angle éducatif, sanitaire. C'est ainsi que la collaboration des différentes institutions éducatives, médicales, juridiques, mais également familiales, doit contribuer à une meilleure prévention. Légaliser, même sous contrôle, la consommation de drogues ne signifie pas pour autant faire n'importe quoi. En ce sens, il convient de forger les esprits mais également de lutter contre certaines idées reçues. C'est ainsi que la prévention doit favoriser une véritable promotion de la santé au sein des populations adolescentes françaises et canadiennes. C'est d'ailleurs là le principal objectif de la légalisation contrôlée. La création d'un véritable droit pénal des mineurs toxicomanes en est également un. Il s'agit plus généralement de garantir aux adolescents le respect d'un certain nombre de droits reconnus dans des conventions internationales. L'incrimination d'usage abusif, pour sa part, apparaît ainsi comme la garante du respect de ces principes, tout en assurant la pérennité du système de légalisation contrôlée.