''Rome n'est plus dans Rome'', formule magique pour un centre perdu
Auteur / Autrice : | Christophe Imbert |
Direction : | Michel Bressolette |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Lettres modernes |
Date : | Soutenance en 1999 |
Etablissement(s) : | Toulouse 2 |
Mots clés
Résumé
''Cette sentence que pas un français n'ignore'', voilà comment Larbaud commente le mot de Sertorius : ''Rome n'est plus dans Rome, elle est toute ou je suis''. Cette occurrence cornélienne rayonne, au cœur d'un réseau d'héritages et de filiations, d'imitations, de pastiches d'analogies, qui irrigue tout le champ de la culture européenne. En amont de Corneille, Érasme, du Bellay, mais aussi bien Hildebert de Lavardin, Janus Vitalis, Quevedo, Spenser, Szarzynski ont préparé le triomphe de ces quelques mots ; en aval, Métastase, Delacroix ou Marguerite Yourcenar témoignent diversement de cette exceptionnelle fortune. Un tel succès tient certes en bonne part à la densité ''concettiste'' de l'expression : il faut rapporter son énergie à l'art verbal d'une époque qui fut habile à cacher de complexes mécanismes dans la secrète fabrique de tiroirs d'ivoire. Mais loin d'entrer dans une logique de l'art pour l'art, ce verbe paradoxal prend tout son sens en convoquant une puissante signification historique. ''Rome n'est plus dans Rome'' est tout d'abord une formule de la ''translatio imperii'', du transfert de la légitimité, du voyage ou de la ruine de l'Empire. Notre enquête repose donc sur deux axes déterminants : d'un côté, une recherche d'ordre philologique qui consiste à reconstruire la préhistoire (du Vème au XVème siècle) et l'histoire (du XVIème au XXème siècle) d'une formule dans la littérature et le discours (politique, religieux) européen ; de l'autre, la tentative de retrouver l'histoire d'une idée (la perte ou le déplacement du centre absolu que pouvait représenter Rome) en utilisant précisément les occurrences de la formule comme des indications de parcours. Dans ce travail l’idée se révèle forme, et l’histoire, poème : les événements semblent non seulement décrits, mais contenus et comme programmés, par les sentences. Ainsi aborde-t-on le rivage d’une Poétique de l’Histoire. Pour être pleinement lue, la formule appelle un vaste ensemble de représentations, figures historiques, allégories, ''exempla'', que le lecteur doit conserver dans sa mémoire. Ainsi, les mots qui disent une forme d’éclipse ou de catastrophe se trouvent replacés au cœur de la tradition européenne : ils demandent seulement une image - une femme en deuil sur les tombeaux, ou sur une barque dans la tempête de l'Histoire - pour devenir absolument l'emblème de la mélancolie.