"Merde aux Historiens", tonnait Apollinaire en 1913 dans l'Antitradition futuriste. Pourtant, l’Histoirefourmille sous toutes ses formes dans l’œuvre de l’écrivain, lui conférant son unité.Si l’Histoire protéiforme des peuples irrigue tant la création apollinarienne, c’est pour nourrir le « lyrisme neufet humaniste en même temps » que revendique l’auteur érudit. Mais quand survient la guerre, le regard du poète devenusoldat se transforme, et l’histoire vécue de la Grande Guerre, dont « Gui » a conscience qu’elle restera dans la grandeHistoire, bouleverse la perception de l’écrivain : l’Histoire n’est plus lointaine, elle est ancrée dans la boue destranchées, et Apollinaire en transfigure l’horreur dans les poèmes et les lettres qui en témoignent.Alternant études d’ensemble et micro-analyses stylistiques, nous identifions et expliquons les références àl’Histoire mobilisées dans toute l’œuvre apollinarienne. Notre but n’est pas seulement de recenser et de rendre pluslisible un matériau extrêmement éclectique, ancré dans divers supports génériques, mais également de circonscrire unepoétique de l’Histoire apollinarienne en identifiant les procédés de transfiguration mis en œuvre par l’écrivain pours’approprier avec virtuosité les éléments pris au passé du monde entier, qu’il s’agisse de la grande Histoire des conflitsou de celle – souvent inconnue – des marges, qui, toutes deux, tendent un miroir réflexif sur la personnalité et l’œuvrede l’écrivain. Dans un intérêt aussi stylistique que génétique, nous mettons au jour des sources livresques dont s’estinspiré Apollinaire, et qui constituent, entre autres, le terreau ancien de sa fulgurante modernité.