Thèse en cours

L'écriture des déserts de Libye, entre description et méditation
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Auteur / Autrice : Eiman AL KOSHEIRI
Direction : Emmanuelle Kaes-ardissonElisabeth Gavoille
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Doctorat littératures comparées
Date : Inscription en doctorat le 19/11/2015
Etablissement(s) : Tours
Ecole(s) doctorale(s) : Ecole doctorale Sciences de l'Homme et de la Société (Tours)

Résumé

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« Ce n'est que sable, aridité terrible, désert absolu » : c’est ainsi déjà qu’Hérodote, au Ve siècle avant notre ère, décrit dans son Enquête la Libye. Pour les Anciens, ce nom désigne une vaste région, qui déborde les frontières de l’État libyen actuel, correspondant à peu près au Sahara occidental, et il évoque le désert par excellence, sableux ou pierreux. C’est en partant de ce lien topique entre Libye et désert que nous voudrions nous interroger sur ce que décrire le désert peut signifier : s’agit-il de dire le non-lieu, la négation de la vie ? ou d’ouvrir à une autre dimension que le visible, en suggérant au-delà d’un simple spectacle de désolation un autre monde ? En quoi le désert excite-t-il l’écriture ? Notre recherche s’appuiera donc sur cette unité de lieu, en examinant un corpus varié, qui joint deux extrémités (Antiquité et XXe-XXIe s.), avec trois ensembles de textes : 1°) les notations que l’on trouve à propos des déserts de Libye dans la littérature antique (chez l’historien grec Hérodote, chez les poètes latins Virgile, Properce, Ovide, Lucain, Silius Italicus), avec des motifs récurrents qui expriment quelque fascination (immensité des étendues, soleil brûlant, aridité du sol, vent violent du sud, bêtes féroces et serpents, peuple mystérieux et pacifique des Garamantes…) ; 2°) des œuvres de Théodore Monod (1902-2000) où sont évoqués ces lieux : L’Émeraude des Garamantes (commencé vers 1940, publié en 1984) et Le Chercheur d'absolu (1997), qui relèvent à la fois de l’enquête scientifique, du récit de voyage et de la méditation philosophique ; 3°) quatre romans du Libyen de culture touareg Ibrahim Al-Koni (né en 1948), qui définit lui-même son œuvre comme un « discours du désert » et se réfère volontiers à des modèles latins (Virgile, Ovide…) : Poussière d’or (1990, trad. fr. 1998), Les Mages (1991/2005), Le Saignement de la pierre (1995/1999) et L’Oasis cachée (1997/2002) peignent un désert habité, par des nomades, des animaux, mais aussi par des esprits, les djinns ; ces récits stylisés, peuplés de figures archétypales, se chargent d’une dimension surnaturelle, à la limite du fantastique. Il s’agira d’explorer une poétique du désert — peut-être peut-on parler de « littérature désertique » —, selon deux axes principaux, qui expliquent le titre choisi. 1°) Tout d’abord, une approche rhétorique et stylistique de la description du désert qui, prenant appui sur les marqueurs du « descriptif » (selon la terminologie de Ph. Hamon), mettra en lumière l’articulation de la description avec la narration, la distribution et la fonction des séquences descriptives dans le récit mais aussi, dans une approche plus stylistique, le rôle de la métaphore et des dispositifs analogiques dans la description de l’espace désertique. L’éclairage des textes de l’Antiquité permettra de mesurer la permanence des motifs topiques et de situer l’œuvre d’Al-Koni dans une tradition littéraire des représentations de cet espace. 2°) Un second axe s’attachera aux valeurs symboliques et éthiques de ce « désert des déserts ». Ses propriétés objectives – il est illimité, vide, indifférencié, hostile à l’humain – étayent un discours moral dans les récits initiatiques d’Al-Koni où la description du désert ouvre l’action romanesque à la symbolique mystique : « Sanctuaire, purgatoire, mais aussi liberté, qui est synonyme de mort : voilà le désert pour moi », dit le romancier. Quant à Monod, à la fois issu d’une lignée de pasteurs protestants et héritier de la tradition occidentale d’exploration scientifique des XVIIIe et XIXe siècles, il appréhende les déserts comme une réalité géographique, botanique et minéralogique, tout en renouant avec une approche spirituelle du désert qui en fait le lieu de l’épreuve et de la découverte de soi-même. Au-delà des divergences inhérentes au « réalisme » du discours scientifique et au « symbolisme » de l’écriture littéraire, la confrontation des représentations textuelles de la Libyca fait apparaître des convergences significatives. Elles sont formelles (car la description du désert est scientifique et poétique chez Monod), mais aussi thématiques : le savant s’attache à la légende de « l’oasis perdue » qui fonde le roman éponyme d’Al-Koni, et chez les deux auteurs contemporains l’évocation du désert appelle une exaltation de la solitude révélatrice, une réflexion sur le rapport de l’homme au monde (sédimentation historique, animalité, sacré…), une critique du matérialisme (la « poussière d’or » corruptrice du récit d’Al-Koni), un éloge enfin de la dépossession et du dénuement.