Qualifier, témoigner, dénoncer le viol ordinaire : la justice réparatrice comme espace de justice épistémique
Auteur / Autrice : | Alexane Guérin |
Direction : | Astrid von Busekist, Magali Bessone |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Doctorat en Science politique, spécialité Théorie politique |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2019 Soutenance le 08/02/2024 |
Etablissement(s) : | Paris, Institut d'études politiques |
Ecole(s) doctorale(s) : | Institut d'études politiques (Paris). École doctorale |
Résumé
Alors que la mythologie du viol construit ce crime comme un événement extraordinaire causé par un inconnu déviant, cette thèse propose une conceptualisation du « viol ordinaire » à partir de trois critères : la relation de proximité entre la victime et l’auteur, la situation de quotidienneté et l’intimité entre les deux individus. Le concept de viol ordinaire, loin de banaliser les violences de genre, permet de dévoiler les mécanismes hétéronormés à l’oeuvre dans la (re)production des violences sexuelles, dans le sillage des théorisation féministes américaines du « date rape » des années 1980. À partir des savoirs expérientiels de cinq femmes recueillis lors d’entretiens semi-directifs, ce travail de recherche analyse les injustices épistémiques que ces victimes subissent lorsqu’elles cherchent à qualifier, témoigner et dénoncer leur viol (injustices herméneutiques, testimoniales, agentielles, silenciation, etc.). L’épistémologie féministe du positionnement a permis de se décentrer des significations pénales de ce qui rend justice et des comportements déterminés par la figure de la « victime idéale ». En effet les attentes de justice épistémique identifiées ne correspondent pas aux logiques et finalités pénales, qu’il s’agisse, pour les victimes, de nommer l’événement à l’aune du continuum de la violence sexuelle, de faire le récit du viol et de ses conséquences sans que leur crédibilité ne soit évaluée, d’être reconnue en tant que victime sans devoir performer des normes stéréotypées ou de confronter l’homme qui a commis le viol pour obtenir des réponses à leurs questions. Cette thèse montre que le paradigme de la justice réparatrice est à même de répondre à ces attentes normatives par les espaces de dialogue et d’écoute inconditionnelle qu’il propose. À partir d’un travail de terrain réalisé au Québec au sein d’un réseau de justice réparatrice extra-judiciaire, cette recherche démontre que la médiation relationnelle observée permet aux victimes de se réapproprier leur agentivité épistémique, radicalement niée pendant le viol.