Thèse soutenue

Sécurité et populisme : les migrants à la frontière du droit pénal

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Veronica Romano
Direction : Raphaële ParizotAlessandro Tesauro
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Droit privé et sciences criminelles
Date : Soutenance le 30/06/2023
Etablissement(s) : Paris 10 en cotutelle avec Università degli studi (Palerme, Italie)
Ecole(s) doctorale(s) : École Doctorale Droit et Science Politique
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de droit pénal et de crimonologie (Nanterre ; 1992-....)
Jury : Président / Présidente : Rosaria Sicurella
Examinateurs / Examinatrices : Raphaële Parizot, Alessandro Tesauro, Rosaria Sicurella, Pascal Beauvais, Luca Masera, Julie Alix
Rapporteurs / Rapporteuses : Pascal Beauvais, Luca Masera

Résumé

FR  |  
EN

Cette thèse porte sur la criminalisation des migrations à l’époque de ce qu’on l’appelle le populisme, et notamment le populisme pénal. En effet, si comme l’a écrit le juriste français Denis Salas, on a assisté de plus en plus à une montée en puissance du droit pénal sous la pression d’un besoin collectif de sécurité, c'est surtout à l'encontre des migrants qu'on a dirigé ce surinvestissement pénal, tout en dévoilant la déshumanisation du droit pénal.Comme le démontre le Chapitre I, les migrants sont, en effet, les cibles d’une culture grandissante de la peur, ainsi que d’un refrain politique et médiatique visant à les stigmatiser en tant que potentiels criminels. Comme un miroir, la politique migratoire et la politique criminelle nous donnent cet image d’une société plongée dans la peur: la première parce que - comme l'écrit Abdelmalek Sayad - c’est « l'État qui se pense lui-même en pensant l'immigration » ; la deuxième « parce que toute incrimination […] repose sur un choix de valeurs ou d’intérêts dont le respect est jugé indispensable au maintien de l’ordre social » (Xavier Pin). Concernant, notamment, la politique criminelle, il faut souligner que cette expression sera mobilisée tout au long de cette thèse dans le sens qu’elle avait sous la plume de Mireille Delmas-Marty, en se référant à l’ensemble des théories et pratiques de contrôle social dont la sphère privilégiée est certes le droit pénal, mais qui se nourrit également d’autres formes de criminalisation, issues du droit administratif-punitif, ainsi que d’un ensemble de dispositifs rhétoriques et constructions cognitives, fondées sur des préjugés et perceptions. Le Chapitre II portera sur l’analyse critique de ce droit de la peur-exclusion fondée sur la rhétorique sécuritaire autour de la migration. On démontrera à quel point le droit pénal sert de frontière, incarnant la souveraineté et le relativisme des valeurs nationales et en agissant en tant que dispositif de surveillance et de contrôle des migrations. Le mot frontière évoquera également la zone frontalière dans laquelle s’opère la criminalisation des indésirables (ainsi que des acteurs humanitaires qui portent secours aux migrants en danger) : il s’agit, en effet, d’une zone grise, dans laquelle le droit pénal et le droit administratif punitif se chevauchent, le deuxième étant de plus en plus mobilisé, sans que, toutefois, le législateur ait renoncé à la force stigmatisante et déshumanisante du droit pénal. En témoigne, par exemple, le délit (en France) ou la contravvenzione (en Italie) de l’entrée irrégulière, constituant le drapeau du populisme pénal excluant. On verra aussi à quel point le processus d’expansion de la notion d’ennemi jusqu’à englober les acteurs humanitaires a été légitimé par une « narration déshumanisante de l’humain » fondée sur le stéréotype des navires humanitaires en tant que facteurs d’attraction.Tout au long des chemins de la répression de la solidarité, on distinguera formes pénales de criminalisation (par voie, par exemple, d'un mésusage du délit d’aide à l’entrée irrégulière), para-pénales (voire, les blocages administratives des navires humanitaires) et inédites (voire, par exemple, en Italie certaines ordonnances de la mairie de Ventimiglia, visant à interdire la distribution de denrées alimentaires aux migrants à la frontière franco-italienne). À tout bien considérer, derrière ce recours au droit pénal se cache la croyance que l'on puisse relever le défi migratoire, tout en faisant un usage populiste de l’outil punitif. Mais – comme on l’expliquera lors du chapitre III et comme l’enseignait la jurispoète Mireille Delmas-Marty – on ne peut pas se réfugier dans l'illusion de l'État sécuritaire. Le passage à un État solidaire s’impose comme une nécessité pour « sortir du pot au noir ». On se demandera, à ce propos, si et dans quelle mesure les juges ont contribué (et pourront contribuer à l’avenir) à faire de la solidarité la nouvelle frontière du droit pénal.