Thèse soutenue

Destins paysans et politiques agraires en Afrique centrale

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Auteur / Autrice : André Guichaoua
Direction : Yves Goussault
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Lettres et Sciences Humaines
Date : Soutenance en 1987
Etablissement(s) : Paris 1

Résumé

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Apparemment tout oppose les contextes régionaux de l’Afrique des hautes terres "surpeuplée" et le Congo "sous peuple" qui constituent les deux pôles extrêmes de l’Afrique dans le domaine de la répartition des populations rurales et urbaines. Il est cependant possible de dégager certaines convergences dans l'évolution des devenirs paysans et le sort réservé aux populations rurales par les bourgeoisies "directoriales" au pouvoir. L'analyse des processus d'élaboration et de mise en œuvre des politiques agraires illustre le primat indiscuté accordé aux exigences économiques et politiques urbaines aussi bien en termes d'accumulation et de concentration des richesses que de régulation des flux migratoires. Les tentatives permanentes des partis uniques au pouvoir pour contrôler ou mettre à leur service les diverses formes de solidarité et les dynamismes propres au milieu rural complètent le dessaisissement des producteurs de la terre. Mais d'une manière générale, les processus d'exclusion et de relégation dont les populations rurales sont victimes ne suffisent pas à eux seuls à expliquer les raisons de la résignation et de la démobilisation paysannes telles qu'elles s'expriment au travers de la crispation traditionnaliste des paysans des hautes terres centrales ou plus brutalement par la désagrégation de la paysannerie congolaise "inorganisée". Aux yeux des intéressés, c'est la situation paysanne elle-même qui est désormais perçue comme insupportable en terme d'identité culturelle. En effet, si la reproduction sociale suppose que soient réunies un certain nombre de conditions "objectives" favorables, elle repose avant tout sur la conviction que le groupe social auquel on appartient à un avenir; s'appuie sur un système de valeurs socialement reconnu et valorise. Au Congo, l'effondrement du "monde paysan" est certes venu de l'incapacité des notables lignagers à transmettre aux cadets sociaux des aspirations mobilisatrices, mais plus encore de l'action de l'état "révolutionnaire" qui a pris la responsabilité de définir et de sélectionner les fractions légitimes de la paysannerie appelées a bénéficier des faveurs économiques et politiques centrales en confirmant les jeunes ruraux dans le sentiment que le droit à la reproduction sociale lui-même leur était désormais matériellement et symboliquement accorde de l'extérieur. Au Burundi et au Rwanda, la soumission des populations rurales découle de l'absence d'alternatives possibles (emplois et revenus extra-agricoles) ou autorisées (l'installation en ville). Les équilibres économiques et la cohésion politique de ces véritables états-paysans perdurent du fait de leur capacité à bloquer l'émergence d'un autre système social fait de "classes" distinctes se substituant à un ordre hiérarchique ou chacun exerce des fonctions faiblement différenciées qui concourent à la cohésion de l'ensemble. Ce cas exemplaire d'attachement à la terre et aux activités agricoles apparait donc finalement comme un contre-exemple non transposable. Les vocations paysannes n'atteignent un tel degré d'adhésion contrainte que pour autant que les possibilités de comparaison des jeunes générations avec d'autres perspectives sociales demeurent réduites. L'ordre paysan sauvegarde de l’Afrique des grands lacs n'assure sa pérennité qu'en redoublant au niveau idéologique l'enclavement géographique auquel il est condamne.