La société des eaux cachées du Saïss : l’analyse d‘un basculement autour de l’extraction des eaux souterraines profondes au Maroc
Auteur / Autrice : | Rhoda Lucie Fofack Tsabou |
Direction : | Jean-Paul Billaud |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie |
Date : | Soutenance le 03/04/2018 |
Etablissement(s) : | Paris 10 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Économie, organisations, société (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 2000-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces (Nanterre ; 1997-....) |
Jury : | Président / Présidente : Marc Mormont |
Examinateurs / Examinatrices : Jean-Paul Billaud, Marc Mormont, Rémi Barbier, Patrick Caron, Madeleine Akrich, Zhour Bouzidi | |
Rapporteur / Rapporteuse : Rémi Barbier, Patrick Caron |
Mots clés
Résumé
L’usage des eaux souterraines est à l’origine de l’expansion de l’économie agricole du Saïss, une région située au Nord du Maroc. Bien que cachées dans les sous-sols, les eaux souterraines de l’aquifère du même nom sont mises en visibilité par les objets techniques, intermédiaires indispensables à leur exploitation. D’une grande diversité, ces objets incluent les ouvrages d’exhaure (puits, forages, puits-forés) et leurs équipements (moteurs et pompes). D’un objet technique à l’autre, les transitions techniques qui traversent la région marquent le basculement des usages sur la nappe, des eaux souterraines superficielles aux eaux profondes. Au-delà des conditions hydrologiques et des pratiques de pompage qui changent, ce basculement témoigne du passage entre deux mondes sociaux spécifiques : un « monde de la pénurie » qui repose sur l’usage des puits et des eaux de la nappe phréatique ; et un « monde de l’abondance » où les forages permettent d’atteindre les ressources en eau de la nappe profonde, plus facilement exploitables, avec des débits plus importants et plus constants. L’évolution entre les deux mondes n’est pas linéaire, apparentée à une forme d’hybridité plutôt qu’à une rupture car leurs frontières sont rendues à la fois mouvantes et poreuses par les agriculteurs et des artisans innovants. En se constituant en objets de réseaux qui mettent en contact et créent des interdépendances entre les acteurs, les objets techniques dessinent un tissu réticulaire dont la maille ne relève pas de façon immédiate d’un lien territorial. La thèse explore ce que construit socialement la dynamique d’exploitation des ressources en eau souterraine, en caractérisant le type d’assemblages du social qui est généré - tout en y contribuant- par l’usage d’une ressource individualisée. L’analyse des mécanismes de récupération et la transformation des moteurs d’extraction révèle une société en émergence dont les systèmes d’échanges et de communication sont basés sur l’institution sociale du « bazar ». Structure sociale et culturelle traditionnelle dans les sociétés marocaines et orientales en général, le « bazar » offre des propriétés qui sont réinvesties de nos jours pour façonner les interrelations autour d’objets techniques nouveaux. En périphérie de ces processus, les acteurs publics contribuent à la réification des mondes sociaux, en disqualifiant le monde des puits pour encourager le monde « plus rationnel et mieux maîtrisé » des forages. L’approche de cette société des eaux cachées par l’intermédiaire de la technique et du rapport à l’eau souterraine se révèle d’une grande richesse, et capable de rendre visibles et explicites des dynamiques sociopolitiques caractéristiques du Maghreb contemporain. On voit alors se dessiner dans la relation ressources naturelles-objets techniques-acteurs des lignes de fracture sociologique entre monde de la ruralité souvent perçu par les acteurs publics comme « en retard » sur le développement et monde de la modernité qui encourage la course aux nouvelles technologies et à la technicité.