L'exemple d'une polémique médicale au XVIe siècle : médecins contre apothicaires, une querelle de corporations
Auteur / Autrice : | Gaëlle Di Paolo |
Direction : | Sabine Lardon, Olivier Bertrand |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Langue et littérature françaises |
Date : | Soutenance le 22/09/2018 |
Etablissement(s) : | Lyon |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Lettres, langues, linguistique, arts (Lyon ; 2007-....) |
Partenaire(s) de recherche : | établissement opérateur de soutenance : Université Jean Moulin (Lyon ; 1973-....) |
Jury : | Président / Présidente : Jean Vignes |
Examinateurs / Examinatrices : Olivier Bertrand, Jean Vignes, Paola Cifarelli, Véronique Montagne, Michèle Goyens, Philip Rieder | |
Rapporteur / Rapporteuse : Paola Cifarelli, Véronique Montagne |
Résumé
Ce travail de recherche s’appuie sur un corpus de cinq ouvrages de médecine, publiés entre 1532 et 1558. Ces ouvrages sont porteurs d’une dimension polémique en opposant deux corporations médicales : les médecins et les apothicaires. En 1532, un célèbre médecin lyonnais, Symphorien Champier, fustige les erreurs des apothicaires sur les simples médecines dans son Myrouel des appothicaires. En 1553, un médecin poitevin, Sébastien Colin, dénonce à son tour, dans sa Declaration des abuz et tromperies que font les Apothicaires, le manque de connaissances des apothicaires et s’indigne de leur peu de moralité. Face à l’animosité de cette deuxième attaque, l’apothicaire Pierre Braillier s’attèle à défendre l’honneur de ses pairs. Il publie en 1557 sa Declaration des abus et ignorances des Medecins, […] Pour responce contre Lisset Benancio dans laquelle il reprend point par point les accusations de Colin pour les retourner contre les médecins. En 1558, le médecin Jean Surrelh cherche alors à redorer l’image écornée de sa corporation dans son Apologie des medecins contre les calomnies, & grand Abus de certains Apothicaires. Pierre Braillier lui répond quelques mois plus tard dans ses Articulations […] sur l’apologie de Jean Surrelh. En parallèle du projet d’édition des cinq textes du corpus qui constituent le second volume de cette thèse, le premier volume propose une analyse de cette polémique médicale. Nous avons voulu observer comment le discours de chacun de ces quatre auteurs est influencé par son appartenance à la corporation des médecins ou bien à celle des apothicaires. Pour ce faire, nous avons privilégié trois angles d’analyse : un premier sur l’ancrage du discours des auteurs dans le contexte scientifique et idéologique de la Renaissance, un deuxième axé sur les divergences des pratiques entre ces deux corporations concurrentes et un dernier davantage orienté sur l’intérêt lexical et linguistique de cette polémique corporatiste. La contextualisation a ainsi permis d’observer comment chaque auteur se positionne en tant que professionnel par rapport aux principes fondateurs de l’art de médecine. Chacun revendique la vertu et la grandeur de sa corporation en s’appuyant sur la référence des auctoritates ou sur la Bible, ou bien au contraire en dénigrant les sources citées comme autorité par l’adversaire. Par la même occasion, chaque participant à cette polémique cherche à se construire un ethos positif tant comme professionnel que comme auteur, tout en discréditant les membres de la corporation adverse. Si l’apothicairerie est distincte de la médecine à la Renaissance – tant au niveau des pratiques, que du domaine d’intervention et du cadre légal d’exercice des professionnels – les pratiques concurrentielles entre médecins et apothicaires perdurent à la Renaissance et entachent les relations de ces collègues. Dans le corpus d’étude, l’intérêt du patient devient un objet secondaire du discours puisqu’il s’agit pour chaque auteur de blâmer la corporation adverse afin de défendre la légitimité de la sienne. Le lecteur se voit par la même occasion attribuer une place de choix puisqu’il est présenté comme juge de cette querelle, dans un double intérêt. En plus de revendiquer à la face du monde la reconnaissance sociale méritée, chaque auteur se justifie des traitements reçus, enjoignant de facto de potentiels patients à préférer sa corporation. L’appartenance corporatiste marque également le lexique scientifique et technique. Nous avons aussi interrogé le rapport de chaque auteur à la langue latine, tenue encore comme langue européenne du savoir à la Renaissance, et au français, langue dominante du corpus. Si les médecins utilisent encore un lexique scientifique en latin, l’apothicaire Pierre Braillier revendique l’usage exclusif du français, circonscrivant par la même occasion le latin à un usage parodique.