Thèse soutenue

Toucher le coeur : confrontations du théâtre et des pratiques de piété en France au XVIIe siècle

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Auteur / Autrice : Servane L'hopital
Direction : Laurent Thirouin
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Lettres et Arts
Date : Soutenance le 11/12/2015
Etablissement(s) : Lyon 2
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Lettres, langues, linguistique, arts (Lyon ; 2007-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut d'histoire de la pensée classique (Saint-Étienne ; 1990-2015)
Jury : Président / Présidente : Claude Bourqui
Examinateurs / Examinatrices : Laurent Thirouin, Francis Goyet, Jean-Robert Armogathe, Anne Surgers

Résumé

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La confrontation du théâtre et de la liturgie est un lieu commun de la pensée. Il est un motif rhétorique récurrent chez les pères de l’Église pour définir a contrario et par surenchère le bon ethos du chrétien à l’Église. Ce tour de pensée ecclésiastique, typique de la synthèse augustinienne de la rhétorique antique et du christianisme, n’est pas seulement un héritage livresque au XVIIe siècle. Il est particulièrement pertinent à la vue des enjeux auxquels est confrontée l’Église catholique : elle doit répondre aux accusations protestantes, qui traitaient la messe de farce ; le théâtre renouvelé de l’antique se rétablit grâce au soutien du pouvoir, se sédentarise et devient un divertissement régulier. Cette banalité nouvelle fait de la Comédie, aux yeux des augustiniens, le lieu d’une « représentation vive » et continuelle des passions du monde, particulièrement de l’amour et de l’honneur : le théâtre apparaît comme une liturgie inversée. Là où les pratiques de piété sont censées amoindrir les passions et nourrir la foi, le théâtre excite les passions et étouffe l’esprit de prière. La querelle de la moralité au théâtre montre non seulement une concurrence morale, mais aussi psychique et affective. Les deux représentations prétendent susciter la présence d’esprit et « toucher » le cœur, voire lui « imprimer des mouvements ». La messe est qualifiée de « représentation vive du sacrifice de la croix », pendant laquelle le fidèle doit se remémorer vivement le sacrifice christique et sa signification grâce à une lecture allégorique, et se l’appliquer à lui-même. Par la considération et l’accomplissement de cérémonies, par la vocalisation des psaumes, le fidèle est invité à produire des « actes » du cœur pour s’unir à Jésus-Christ. Ce rapport au texte comme trace à suivre, et ce rapport au corps et à la voix comme media pour s’auto-exciter, expliquent pourquoi les comédiens professionnels sont condamnés par les dévots : ils excitent en eux les passions contraires à l’Esprit saint, ils rappellent des sentiments qu’un pénitent ne pourrait pas se remémorer sans « horreur ». La « représentation » est alors conçue comme un effort de remémoration.Le rétablissement du théâtre à l’antique nécessitait un discours pour en éclairer les visées et en légitimer l’existence dans une société chrétienne et monarchique. Traduire la mimesis aristotélicienne par « représentation » plutôt que par « imitation » rendait le théâtre beaucoup plus proche de la liturgie et lui ajoutait les connotations de vue, de présence et de mémoire. Le débat entre plaire et instruire est un débat entre théâtre-divertissement et théâtre-cérémonie. Incomber au théâtre la fonction d’instruire, c’était le rapprocher d’une prédication et de la messe, car instruire, signifiait instruire chrétiennement. L’échec de sanctification du théâtre des années 1640 fit conclure à une incompatibilité du théâtre avec la folie et la modestie chrétienne, mais la possibilité d’une instruction civique par le théâtre émerge à la fin du siècle. Le théâtre participe de la construction d’une morale laïque.